Allez hop, tout le monde à la campagne...
Là-haut sur le plateau corrézien. Un chemin pierreux qui mène aux Cabanes. Quelques maisons, une de chaque côté du passage et la troisième au fond, en cul de sac. A quelques kilomètres de Toy-Viam, un village jouet d'environ trente quatre âmes.
La première, une ferme en U, est habitée par Virgile et sa femme Judith. Ils ne sont plus de toute première jeunesse mais ils possèdent encore quelques vaches, des brebis et des poules. Une petite exploitation familiale qui leur suffit pour vivre. Seulement Judith est ébranlée de la mémoire. Elle ne se souvient plus ou répète des gestes qu'elle a effectuée lorsqu'elle était plus jeune. Egorger des poules par exemple, les plumer, alors que Virgile ne lui avait rien demandé. Ça a un nom mais je ne m'en souviens plus très bien. Parfois elle a des sursauts de raisonnabilité mais c'est de plus en plus rare. Il faudra bien penser à y remédier un jour.
Un peu plus loin en montant, celle de Georges le neveu de Virgile, une bâtisse qui ne vit plus. Georges réside dans une caravane, il n'est jamais entré dans la maison. Aujourd'hui quadragénaire, il a perdu ses parents à l'âge de quatre ans. Un accident bête, un camion. C'est Virgile qui lui a raconté l'historie, sobrement. Virgile et Judith qui l'ont élevé, mais il s'est jamais senti proche d'eux. Et inversement. Il élève lui aussi brebis et agneaux, va parfois à la ville. Il est seul, ce qui ne l'empêche pas d'entretenir sa caravane. Il est soigneux, voire méticuleux. Une caravane dont il est tombé amoureux quand il l'a vue dans une casse. Des cartons pleins de livres moisis dedans, qu'il a posés sur des étagères. Les livres, pas les cartons.
Et puis il y a Karl. C'est pas un gars du pays. Il a débarqué un beau jour, avec un sac de marin contenant ses affaires et deux housses recelant des armes à feu et leurs munitions. Il s'est installé là-bas, au fond, au bout du chemin, dans la maison du vieux Clovis, mort durant un hiver. Il l'achetée cette demeure hybride, ni vraiment ferme ni vraiment simple maison, un bâtiment décrépit. Plus une écurie et du terrain en friche. Ça lui suffit à cet homme solitaire qui parait redouter la solitude. Parfois il requiert les services de Virgile qui obligeamment lui bande ses grosses mains. Karl est un ancien boxeur qui continue à s'entraîner sur son sac à taper dessus comme s'il voulait le réduire à l'état de crêpe.
Il discute souvent avec Virgile, de choses et d'autres, de tout et de rien. De la philosophie pastorale, de théories bibliques, de l'air du temps, un peu d'eux. Le tout dans une entente cordiale même si les répliques sont parfois acrimonieuses. Par exemple ce petit échange amical :
- T'es bien un vrai paysan, toi.
- Ça veut dire quoi ?
- Que t'as sûrement plus de réponses à donner que de questions à poser.
- C'est un genre de leçons ? Venant d'un type qui en a visiblement pas retenu beaucoup, ça me fait plutôt rigoler.
Et puis un jour Cory arrive de la ville fuyant l'homme-torture. Cory est lasse de subir les avanies et les coups d'un amant violent. C'est la nièce de Judith, et Virgile bon cœur a accepté qu'elle vienne se réfugier aux Cabanes. Georges est chargé d'aller la chercher à la gare et de l'héberger dans sa caravane. Il faudra s'y faire à cette proximité, s'arranger pour que chacun puisse cohabiter sans faire de vagues et de remous.
Ce qu'ils ne savent pas, c'est que justement les vagues et les remous vont bientôt déferler sous forme de mascaret inspiré par un chasseur qui rôde dans la campagne et les bois environnants. Une silhouette que Karl a entraperçu alors qu'il chassait l'oie sauvage et qu'Un vol de perdreaux par dessus les champs montait dans les nuages, la forêt chantait, le soleil brillait au bout des marécages...
Et puis il y a les interrogations, de celles qui n'ont pas de réponses, ou plutôt si, qui en ont mais il faut aller les rechercher loin derrière soi, lorsqu'on était plus jeune, des réminiscences qui encombrent l'esprit et que certains s'amusent à déterrer, pour le plaisir et la cupidité.
Certains romans sont de véritables autoroutes avec parfois de petites aires de repos aménagées pour le lecteur.
Plateau, c'est un petit chemin, qui sent la noisette, et qui mène tout doucement vers des horizons inconnus. Le promeneur-lecteur l'emprunte sachant que tout au long du parcours il sera amené à vagabonder, à observer le ciel, le paysage, à contempler la faune, à regarder au-delà de ce que les yeux peuvent percevoir, à grimper les talus, sauter dans les fossés, se tremper les pieds dans des marécages, flâner et rêver. Et ce qu'il y au bout de ce chemin qui grimpe vers l'Eden, n'est-ce peut-être qu'une illusion, un mirage, un enfer.
Une promenade en vert et noir, une symphonie pastorale admirablement contée par Franck Bouysse.
Franck BOUYSSE : Grossir le ciel. - Les Lectures de l'Oncle Paul
Plus près des étoiles... Non, les Américains n'ont pas l'apanage de la littérature des grands espaces, les Français eux aussi savent décrire ces étendues désertiques , âpres, rudes, que so...
http://leslecturesdelonclepaul.over-blog.com/2016/01/franck-bouysse-grossir-le-ciel.html
Franck BOUYSSE : Plateau. Collection Territori. Editions La Manufacture de Livres. Parution le 7 janvier 2016. 304 pages. 18,90€.
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