Il suffit d'une bonne petite enquête à se mettre sous les neurones pour que Sherlock Holmes se requinque.
Fin novembre 1888. Londres vibre encore de la terreur déclenchée par les meurtres perpétrés par Jack l'Eventreur. Marié depuis quelques mois à Mary Morstan, le bon docteur Watson lit tranquillement au coin du feu lorsqu'un coursier le dérange inopinément dans l'une de ses occupations favorites : la lecture. Son ami Sherlock a mis le feu à son domicile par négligence. Heureusement Watson habite non loin du 221 B Baker Street, et il se rend sur place en moins de temps qu'il ne le faut au scripteur de cette notice pour taper ces quelques lignes.
L'incendie n'est qu'un incident provoqué par l'état léthargique dans lequel Sherlock était plongé, et ceci à cause d'une surconsommation de drogue. Evidemment Watson ne le félicite pas. Une enquête désastreuse suivie d'une profonde déprime, Sherlock est vraiment réduit à l'état de loque.
Heureusement il reçoit concomitamment deux missives qui l'incitent à reprendre du poil de la bête. La première, laconique, émane de son frère Mycroft :
Viens tout de suite. L'affaire E/P ne peut attendre.
Le seconde, écrite en français, émane d'une dame, chanteuse de café-concert à Paris, et qui requiert ses services. Sherlock et Watson ont du mal à décrypter cette missive dont l'encre a tendance à s'effacer. Mais il en faut plus pour rebuter le détective. Une lettre à double encodage sympathique comme l'encre qui a été utilisée. Cette personne a eu un enfant, âgé aujourd'hui de dix ans, élevé par son ancien amant, un homme marié. L'homme, un noble, avait exigé d'adopter le jeune Emile et Emeline "Chérie" La Victoire pouvait rencontrer son fils à certaines dates, sans dévoiler son statut de mère. Toutefois elle a été victime d'une agression et elle redoute une nouvelle offensive fatale à son encontre.
Elle demande à être reçue par Sherlock la semaine suivante mais le détective décide d'anticiper et rapidement le voyage est organisé. Sherlock reprend du poil de la bête.
Emeline La Victoire, qui se produit au Chat Noir ou au Moulin de la Galette sous le nom de Cerise Chérie, une véritable friandise, fut enceinte des œuvres du comte Pellingham. Or ce noble est justement un amateur d'œuvres d'art et il se murmure qu'il est prêt à tout pour s'en procurer. Sa dernière folie en date serait la Victoire de Marseille, une statue qui n'a plus toute sa tête, ce qui est normal car trois états la revendiquent et se la déchirent, la Grèce, la France et l'Angleterre. Une statue grecque qui dépasserait en beauté l'autre Victoire, celle de Samothrace. Mais Pelligham est aussi un riche industriel dans la région du Lancashire, à la tête de fabriques de tissus.
A Paris, Sherlock et Watson font du tourisme au Louvre puis rencontrent la belle Cerise Chérie. Mais leur séjour n'est pas de tout repos. Au Chat Noir une bagarre homérique est provoquée et un individu nommé Jean Vidocq, se prétendant le descendant du fameux bagnard policier François-Eugène du même nom, intervient en leur faveur. Ils font également la connaissance d'un rapin en devenir, un certain Toulouse-Lautrec.
Puis retour en Grande-Bretagne où ils vont enquêter au domaine du comte Pellingham. Pour se faire inviter, Sherlock prend l'identité d'un expert en art. Il a potassé nombre fascicules et livres pour compléter son érudition déjà conséquente, et se déplace en fauteuil roulant, tout comme le véritable expert qui est en déplacement. La demeure, vaste et aux nombreux couloirs tarabiscotés, n'est guère paisible non plus et les meurtres vont se succéder. Emile est introuvable alors que des enfants sont victimes d'assassinats.
Parfois, lorsque les circonstances l'exigent, Watson va devoir enquêter seul, et il ne se sent guère à l'aise dans le rôle qui lui est dévolu. Mais il n'est pas le seul à patauger.
Mais le plus grave était que je commençais à douter de notre habileté. Holmes et moi avions commis une erreur après l'autre. Ma nouvelle vie d'homme marié m'avait-elle à ce point ramolli ? Le séjour de Homes en prison avait-il émoussé son instinct ?
Réflexion profonde émise par Watson, mais les deux hommes ne sont pas au bout de leurs déboires et les interrogations, les erreurs, défunts qui parcourent cette aventure, ne vont pas manquer de se dresser devant eux.
Les auteurs ayant écrit apocryphes, parodies et pastiches des aventures de Sherlock Holmes ne manquent pas. Certains auteurs l'ont fait avec bonheur, d'autres n'ont pas vraiment réussi l'examen d'entrée. Sans connaître le Canon holmésien, seules la lecture et l'impression qui en restent lorsque l'ouvrage est terminé peuvent donner à un roman son côté d'authenticité qui approche ce que le créateur d'un personnage aurait pu écrire. Et Bonnie MacBird a réussi à narrer une aventure qui tient la route, qui ne tombe pas dans la caricature, au contraire, et même parfois va au-delà de ce Conan Doyle aurait pu raconter. Par exemple le travail des enfants dans les usines, le traitement qui leur était réservé (comme l'a si bien décrit Charles Dickens dans certains de ses romans) est particulièrement émouvant. Et Bonnie MacBird intègre avec humour certains personnages ayant réellement existés afin de donner plus de poids à ceux qui ont fictifs. Elle insuffle également au détective un côté plus humain, plus proche des anxiétés sociétales, délaissant la part de mécanique déductive dont parfois le héros use et abuse.
Maintenant il reste à savoir si Bonnie MacBird va continuer dans cette voie, écrire d'autres aventures de personnages célèbres, ou imposer auprès du lectorat un détective ou un policier issu de son imagination, tout comme l'a fait par exemple Nicholas Meyer et René Réouven, holmésologues et holmésiens avertis.
Bonnie MacBIRD : Une affaire de sang (Art in the Blood - 2015. Traduction Martine Desoille). Une enquête de Sherlock Holmes. Editions City. Parution 3 février 2016. 304 pages. 20,00€.
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