Vers attribué au poète bohême Fernand Desnoyers s'en prenant au défunt Casimir Delavigne. Tout comme les êtres humains, certaines plantes ont du mal à cohabiter.
En ce mois d'avril 1915, les soldats allemands et français sont englués dans un cache-cache meurtrier dans les tranchées meusiennes.
Malgré les avis négatifs, l'interdiction même, proférés par son père octogénaire et ancien policier, Romain Delorme s'est engagé et ne s'est pas contenté d'obtenir une place de planqué. S'il apprécie certains de ses camarades de combat, notamment le lieutenant, en réalité sous-lieutenant, Louis Pergaud, le caporal Lévy n'entre pas dans son sérail relationnel. Ce n'est pas qu'il soit foncièrement antisémite, mais Delorme n'apprécie guère les juifs. Un préjugé entretenu durant des décennies mais qui s'efface devant le courage de Lévy lors d'une échauffourée entre soldats Allemands et Français, au cours duquel Pergaud est grièvement blessé. L'auteur de La guerre des boutons, récupéré par les Allemands et soigné dans le camp ennemi, perdra la vie à cause d'un tir de barrage français sur le bâtiment de l'hôpital provisoire.
Lui-même blessé à la cuisse, Romain Delorme est rapatrié et, allongé sur un brancard de fortune, il a droit à une boisson chaude à son arrivée à la gare de l'Est. De nombreuses femmes sont présentes, servant les militaires en souffrance. Mais il reconnait celle qui se présente devant lui. Il l'avait vu quelques années auparavant, alors qu'il appartenait aux Brigades du Tigre, lui sauvant la mise lors d'un affrontement plus que musclé entre partisans de Zola et antisémites, antidreyfusards, nationalistes et bien d'autres qui n'acceptaient pas la panthéonisation de l'écrivain qui avait défendu le capitaine accusé à tort de forfaiture et de trahison. Mort le 29 septembre 1902, Zola, décédé dans des circonstances mystérieuses, n'entrera au Panthéon que le 4 juin 1908, une reconnaissance de l'Etat Français envers celui qui fut conspué, traité de bâtard vénitien ou encore de larbin de la juiverie. Naturellement les journaux comme La Croix, Le Gaulois, La Libre Parole s'en donnent à cœur joie dans le démesure haineuse.
Séverine est contente de retrouver Romain Delorme, d'autant qu'elle a des révélations à lui faire. Concernant sa naissance et l'explication de la cicatrice qui orne son cou jusqu'à l'oreille. Une plongée plus de trente ans en arrière, au temps de la Commune. Un affrontement entre les Communards et les Versaillais, surtout lors de la Semaine Sanglante du 21 au 28 mai 1871, une répression inique organisée par le gouvernement Thiers suivie d'exécutions massives des Fédérés et les déportations aux travaux forcés en Nouvelle-Calédonie.
En février 1934, Romain Delorme s'est attelé à l'écriture de ses mémoires, un travail utile destiné à l'édification de sa fille Augustine tout en fournissant des feuilletons pour les rez-de-chaussée des journaux. Les émeutes ébranlent une nouvelle fois la Capitale à la suite de l'affaire Stavisky et de son décès sur lequel le mystère place. Et une nouvelle fois, les tenants de l'extrême-droite, les royalistes, les antisémites se dressent en antiparlementaristes. Tout ceci ramène Delorme à son passé et plus particulièrement une période de sa vie qui s'étale de 1891 à 1902.
L'ancien préfet de police Louis Andrieux lui propose, sur les conseils de Delorme père, d'entrer dans la police, mais pas n'importe laquelle. La Secrète, et Romain devient ce que l'on appelle une mouche, un indicateur rémunéré directement sur des fonds qui proviennent d'une caisse noire de l'Etat. Parallèlement il devient journaliste au Petit Journal, écrivant des articles qui lui sont suggérés. L'audience du journal dépasse le million d'exemplaires, et son influence ne cessera pas de croître, devenant le journal au plus haut tirage de France, sinon du monde.
Sous cette couverture, Romain doit approcher des personnages en vue de l'époque afin de connaître leur influence et surtout afin de mieux les contrer dans leur opinions politique. Les journaux comme La Libre Parole d'Edouard Drumont qui se veut un organe proche du socialisme tout en étant anticapitaliste et surtout antisémite. Son succès est considérable lors de l'affaire Dreyfus et Romain à cette époque n'est pas vraiment antisémite, quoi que.
En sous-main, Louis Andrieux, dont le comportement est pour le moins ambigu, lui demande de surveiller des individus qui ont pignon sur rue, comme le marquis de Morès qui a fondé la Ligue Antisémitique de France avec Drumont et Jules Guérin. Delorme suit Morès dans ses différents déplacements et entreprises, aux abattoirs de la Villette par exemple dont les bouchers sont tout acquis à sa cause. Il crée des scandales, dont celui de viande avariée destinée à l'armée. Il faut dire qu'il a fait ses armes aux Etats-Unis en créant un élevage intensif mais a eu sur les bras des affaires de meurtres dont il a été acquitté. Il s'érige comme l'ennemi de Clémenceau, lequel serait justement en cheville avec Andrieux.
Le déclin de Morès est consécutif à deux affaires qui le mettent dans une position difficile. Le duel contre le capitaine Mayer, lequel décèdera, et la révélation par Clémenceau de l'emprunt qu'il a effectuée auprès d'un banquier juif (!) et dont le nom est associé au scandale de Panama.
Mais Delorme est au cœur d'autres événements qui défraient la chronique de cette fin du XIXe siècle et le début du XXe, au cours desquels il participe en compagnie de son amie et maîtresse Aurore, laquelle lui fut présentée par Andrieux, toujours lui. Puis l'épisode dit de Fort Chabrol, qui se déroula du 12 août au 20 septembre 1899, un immeuble fortifié de la rue de Chabrol dans lequel Jules Guérin s'est retranché, et celui du décès de Zola dans lequel il est impliqué bien involontairement, et d'autres faits tragiques.
Dans ce roman noir et historique, Roger Martin applique comme à son habitude les principes de rigueur, de sérieux, de précision, de documentation exacte et vérifiable, une marque de fabrique.
D'ailleurs le lecteur est en droit de se demander s'il lit un roman ou un document historique tant les personnages fictifs ont de la consistance et s'intègrent parfaitement à ceux, réels, qui parsèment l'ouvrage. Il remet en cause certaines thèses avancées par des journalistes de l'époque, aveuglés par leur haine et leur fanatisme, il réécrit l'histoire de France telle qu'elle s'est déroulée et non telle que le voudrait des historiens englués dans des hypothèses oiseuses et fallacieuses. Pour preuve ce mystère qui entoure toujours la mort de Zola par asphyxie due à l'émanation d'oxyde de carbone, malgré les révélations de Jean Bedel en 1952, puis d'autres. Sans oublier tous les racontars sur la Commune et l'élégie faite à Thiers qui n'en demandait pas la moitié, dans les manuels d'histoire de mon enfance rédigés selon les opinions politiques de leurs auteurs.
Roger Martin essaie de relater en toute impartialité les différents événements qui ont marqué cette époque qui va de la Commune jusqu'en 1934, construisant tout autant un roman noir qu'une œuvre historique dense, dans laquelle on se perd parfois un peu, car manquant des repères qui sont évidents pour l'auteur. Par exemple, je suggère à Roger Martin d'ajouter, lors de la réédition éventuelle et souhaitée de cet ouvrage, d'y incorporer un glossaire des personnages cités.
Ancien professeur de français, Roger Martin met en scène ou évoque des romanciers, polémistes et essayistes qui marquèrent cette époque et dont les noms ont pour la plupart survécus à leur mort. Louis Pergaud, Gyp née Gabrielle Sybille Aimée Marie Antoinette de Riqueti de Mirabeau devenue par son mariage comtesse de Martel, Henri Bauër fils naturel d'Alexandre Dumas, Zevaco, Zola bien entendu, Anatole France et quelques autres traversent ce roman avec leur humanisme ou leurs défauts.
Sans être picaresque, ce roman, puisqu'ainsi cet ouvrage est catalogué, est passionnant et remet quelques pendules à l'heure au moment où justement il est besoin de retrouver la vérité historique et ne pas se laisser aller à des fadaises émises par des personnages qui voudraient réécrire l'histoire afin que celle-ci colle à leurs idées.
Concernant La Commune, l'affaire Zola et l'affaire Stavisky le lecteur pourra consulter les chroniques des romans ci-dessous :
François DARNAUDET : Trois guerres pour Emma. - Les Lectures de l'Oncle Paul
L'histoire de la Commune et l'art pictural font partie, entre autres, des centres d'intérêt de François Darnaudet et il s'en nourrit afin d'écrire des romans captivants qui ne sont pas sans rap...
Gilles SCHLESSER : Sale époque. - Les Lectures de l'Oncle Paul
Le reflet en négatif de la Belle Epoque... Pouffiasses ! Après la banque, vous vous attaquez aux emprunts russes. Rien de vous arrête ! Sauf la mort, peut-être ? Prenez garde la justice divine ...
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Michel QUINT : Fox-trot. - Les Lectures de l'Oncle Paul
En piste pour le quadrille... La foule est en effervescence, des hommes principalement arrachent des bancs, brandissent à bout de bras des grilles d'arbre, dressent des barricades. Des camions de ...
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Quelques ouvrages de Roger Martin :
Roger MARTIN : Jusqu'à ce que mort s'ensuive. - Les Lectures de l'Oncle Paul
Ceux qui connaissent l'œuvre de Roger Martin retrouveront ses préoccupations dans la lutte contre la discrimination, la ségrégation, le fascisme d'hier et d'aujourd'hui, démontrant, même si o...
Roger MARTIN : Les ombres du souvenir. - Les Lectures de l'Oncle Paul
Près de vingt ans passés dans une geôle de la prison pour femme de Rennes, et pour un crime qu'elle n'a pas commis, n'ont pas entamé la soif de justice d'Héléna Rénal, ni sa combativité. El...
Roger MARTIN : L'honneur perdu du commandant K. - Les Lectures de l'Oncle Paul
Plus de cinquante ans après, Roger Martin s'en souvient encore. C'était le dimanche 24 juin 1962, à Aix-en-Provence. Il avait douze ans et lisait tranquillement dans sa chambre un roman de Jack ...
Roger MARTIN : Des ombres dans la nuit. - Les Lectures de l'Oncle Paul
Ce n'est pas Carnaval ! Ce 17 octobre 2010 est un grand jour pour le jeune Jim. Il va se rendre en compagnie de ses parents jusqu'à Washington en avion. L'avion, il l'a déjà pris deux ou trois fois
Roger MARTIN : Il est des morts qu'il faut qu'on tue. Editions du Cherche-Midi. Parution 14 janvier 2016. 542 pages. 21,00€.