Z'à la vie, z'à la mort...
A l'instar de Rocambole, Zigomar aura laissé son empreinte dans la langue française, à défaut d'être passé à la postérité comme son prédécesseur, puis son successeur dans la littérature populaire, Fantômas.
Zigomar qui a été décliné en Zigoto, Zig, et autres déformations pour définir un individu inquiétant, bizarre, extraordinaire, ou qui cherche à épater.
Nées sous la plume de Léon Sazie en 1909, plus exactement le 7 décembre dans le journal Le Matin, les aventures de ce malfaiteur seront éditées en fascicules chez Ferenczi. Et il aura fallu la patience et la pugnacité de Denis Balzan pour que ces textes tombés dans l'oubli soient enfin aujourd'hui réédités. Car s'il a connu un franc succès, aussi bien littéraire et au cinéma avec les films réalisés par Victorien Jasset, devenu un produit de consommation sous forme de biscuits, de personnages en pain d'épice, et autres déclinaisons, Zigomar a été enfoui dans les limbes littéraires, tandis que son fils spirituel, Fantômas, est toujours présent.
Dans la première partie, Le maître invisible, nous entrons de plein cœur dans le sujet sans rencontrer ce personnage qui prend de l'ampleur au fur et à mesure du déroulement du récit, sans que son visage et son identité nous soit dévoilés. Même si progressivement cela devient une évidence pour le lecteur.
Le banquier Montreil vient d'être assassiné, c'est ce qu'annoncent à grand fracas les crieurs de rues chargés de vendre les journaux. Assassiné mais pas mort. Il a été retrouvé dans son bureau, mal en point, allongé dans une mare de sang. Les policiers, notamment Baumier chef de la Sûreté et Paulin Broquet, le célèbre détective considéré comme le plus fin et le plus habile des inspecteur de la Sûreté, sont sur place. Paulin Broquet se met à examiner immédiatement le blessé et les lieux. Il déduit que le coup a été porté par un gaucher, des bouts de papier déchirés sont découverts dans la cheminée, à moitié calcinés. Sur le coffre-fort il relève des traces de sang et parvient à déchiffrer une signature en forme de Z.
Le meurtrier présumé ne peut être que l'un des derniers visiteurs de Montreil, c'est à dire le comte de la Guairinière et monsieur Laurent, deux personnages dont les finances sont dans le rouge. Seulement il faut pouvoir prouver que l'un des deux visiteurs du soir est le coupable.
Une confrontation est organisée entre Montreil et le comte de la Guairinière car le banquier a dénoncé le gentilhomme dans sa déposition qu'il a signée. Seulement, lors de cette entrevue, réalisée devant Paulin Broquet et consorts, le banquier revient sur sa déposition et affirme que le comte n'est pas celui qui lui a porté le coup. Et il s'écroule, mort pour de bon, devant ses deux amis venus à son chevet, maître Béjanet, notaire, et Grillard, huissier.
Les deux fils de Montreil, Raoul, avocat, et Robert, médecin, sont abasourdis, de même que leur sœur Raymonde et leur mère. Eux aussi sont interloqués par cette mort. Quant à Raymonde, elle est chiffonnée par les malheurs qui arrivent à la famille d'une de ses amies. Ceux-ci meurent de façon mystérieuse atteints d'une troublante maladie qui ne veut pas dire son nom.
Robert est amené à soigner une indigente habitant près de l'avenue de Clichy, dans une mansarde délabrée, avec une fille bossue et une autre qui heureusement travaille dans une maison de couture et dont la paie lui permet de survivre. Le père est décédé des années auparavant. Riri, la cousette, est la joliesse même, mais elle est sage et sérieuse, malgré les nombreuses propositions qui ne manquent pas de lui être signifiées. Par un fait du hasard, Raoul et Robert sont tous deux amoureux de cette charmante jeune fille. C'est ainsi qu'ils se retrouvent ensemble par hasard devant l'immeuble décrépi. Et qu'ils aperçoivent un ouvrier qui n'est autre que Paulin Broquet déguisé, et le comte de la Guairinière qui poursuit de ses assiduités Riri.
Des dossiers appartenant au banquier et concernant certains de ses clients ont disparu et les deux frères décident de se rendre chez maître Béjanet afin de se les approprier. Hélas il y a déjà du monde, des voleurs encagoulés. Ils pensent reconnaître le comte mais n'ont pas le temps de réfléchir. Eux-mêmes sont maîtrisés, leur tête encapuchonnée, et ils s'endorment du sommeil du juste. Lorsqu'ils reprennent leurs esprits c'est pour s'apercevoir que le veilleur de nuit a été poignardé. Ils n'ont plus qu'à recourir aux bons offices de Paulin Broquet qui démontre qu'ils ont été chloroformés. Quant au comte il a un alibi indiscutable. Il ne pouvait pas être présent sur les lieux du drame au moment où celui-ci s'est déroulé.
Dans cette sarabande effrénée orchestrée par Léon Sazie, les événements se précipitent, se suivent mais ne se ressemblent pas. Les scènes d'action, les situations, les façons de procéder et les diverses péripéties décrites, amorcées dans Arsène Lupin et Rocambole, seront largement exploitées par la suite dans les romans policiers criminels classiques, Fantômas le premier s'en inspirant largement. Tous les ingrédients sont déclinés dans ce roman qui est quelque peu précurseur en la matière.
Les différents personnages usent, voire abusent des déguisements. Que ce soit Paulin Broquet et ses hommes, L'Amorce, Gabriel, Clafous et d'autres dont le métier de policier est caché par une autre activité professionnelle. Le comte de la Guairinière lui aussi se déguise, mais il possède un avantage qui le sauve des griffes des policiers. Non seulement il parvient à leur échapper, grâce à sa bande des Ramogiz, nom des Tziganes qu'il emploie, mais il semble doué du don d'ubiquité.
Paulin Broquet ne ménage pas sa peine pour traquer Zigomar, parfois à ses risques et périls. Ainsi, pensant pouvoir déjouer l'attention des sbires du bandit masqué, il se rend dans l'antre des voyous, un bar près de Montmartre, et effectue le geste de reconnaissance, un Z tracé en l'air avec une main. Seulement il ne connait pas toutes les ficelles et se retrouve enfermé dans une galerie, l'une des nombreuses existantes lors des anciennes carrières de gypse.
Un thème éternel est également abondamment développé, celui de la finance, du système employé par les usuriers pour mettre leurs débiteurs genou à terre, et de la spéculation.
L'honnêteté en affaires est ce qui ne peut tomber sous le coup de la loi. Vous êtes honnêtes tant que vos spéculations, quelles qu'elles soient, ne vous occasionnent pas de condamnation. Prenez cela pour principe. C'est la vérité, c'est le seul moyen d'agir avec profit.
Ceci date de 1909, mais est toujours valable de nos jours. Et les banques et les sociétés de prêt avec le crédit renouvelable sont toujours des affameurs, légalement.
Il est dommage que la couverture de cette réédition soit si fade, comparée aux illustrations de Georges Vallée dont quelques reproductions figurent en portfolio en fin de volume.
Et comme tout bon feuilleton, il ne me reste plus qu'à terminer cet article en concluant ainsi : A suivre...
Léon SAZIE : Zigomar. Tome 1. Contient Le Maître invisible et Les lions et les tigres. Collection Rayon Vert. Editions Les moutons électriques. Parution 7 janvier 2016.