N'est pas celle du Père Noël !
Avec son menton en galoche, ce qui lui a valu son surnom, qui posé sur les cageots de légumes ou de fruits, les retient sur son diable, et avec ses petits bras musclés, Luigi Sorgho est très demandé par les déballeurs sur le marché de Hyères.
Il boit ses rosés que lui ont offert les acheteurs pour ses bons et loyaux services de manutentionnaire, chez Henri, un petit bar rendez-vous des marchands et maraîchers. Italien, il vit avec sa sœur Grazia dans un petit appartement qui leur suffit amplement. Ils sont restés célibataires et cela leur convient bien.
Ce jour là il aperçoit un homme, habillé de bric et de broc, buvant une menthe à l'eau (mais n'est pas maquillé comme une star de ciné). Ce visage, il le connait mais est incapable de se remémorer où il a vu ce personnage qui lui sourit. Luigi s'informe auprès d'Henri. Le cafetier ne peut guère donner de renseignements. L'homme apporte des cageots de cerises, lorsque c'est la saison, et achète de la ficelle à Marguin, un grossiste, et circule dans une vieille fourgonnette. Les autres consommateurs, qui taquinent volontiers Galoche, n'en savent pas plus, sauf qu'il vivrait dans une communauté près de Méounes. Il y a en même un qui lâche avec détachement qu'il lui fait penser à un curé.
Le déclic ! Le soir même Galoche annonce à sa sœur qu'il a vu l'abbé Corti, en civil. Il est inquiet. Ayant assassiné deux ans auparavant un homme, il s'était confessé sur les instances de Grazia à cet abbé alors qu'ils séjournaient à Digne. Ce crime était resté impuni, mais quand même. Que fait donc Corti à Hyères, si ce n'est pour le harceler. Il faut absolument retrouver où il crèche (normal pour un curé), et savoir ce qu'il lui veut. Peut-être pour le dénoncer.
Alors Grazia et lui vont unir leurs forces pour découvrir où se terre ce curé. Et ce qu'ils apprennent dépasse leur entendement. Corti n'est plus curé, de plus il est marié et dirige avec sa femme une communauté recueillant des routards. Galoche s'affole et obnubilé par son premier crime et la peur au ventre que son ancien confesseur le dénonce auprès de la police, il va commettre un second meurtre.
Luigi est un être fruste, s'exprimant difficilement en français, vivant sous la domination de sa sœur Grazia, confite, comme un vieux citron, en dévotion. La peur de se voir confondu pour un crime ancien, être dénoncé par un ancien curé, l'empêche de réfléchir sereinement, et dans sa panique va commettre justement ce qu'il ne fallait pas faire. Il est vrai qu'il est mal conseillé par Grazia, mais il redoute également les forces policières, n'étant pas vraiment en règle dans son pays d'adoption.
Peu à peu, à la façon de Frédéric Dard et d'Alfred Hitchock conjugués, Georges-Jean Arnaud joue sur l'inquiétude de ce couple frère-sœur, non incestueux je précise, inquiétude renforcée par la peur que leur passé les rattrape. Ils sont incapables de penser, réfléchir sereinement, et s'affolent avant de savoir réellement ce que fait Corti dans la région.
Une atmosphère romanesque lourde qui de plus est développée par la chaleur de la région. Luigi-Galoche ne crache pas, au contraire, sur les petits verres de rosé qui lui sont offerts, s'en paient quelques-uns supplémentaires ce qui bien évidemment occulte sa réflexion, son cerveau étant quelque embrumé.
Si le thème de ce suspense est intemporel, un homme fautif qui pense, à tort, être traqué, certains éléments ancrent ce roman dans une époque révolue.
Ainsi, en ce début des années 1970, il est commun de parler encore en anciens francs, même si le nouveau franc est de mise depuis 1960. Ce qui peut occasionner à ceux qui n'ont pas connu cette période quelques désagréments dans la compréhension des sommes indiquées. Luigi reçoit cinq à dix francs (nouveaux) pour son travail de manutention auprès des acheteurs de légumes. Dans le même temps une brave femme indique qu'elle touche deux mille francs (anciens soit vingt francs) pour une demi-journée de travail.
Dans le bureau de poste où Luigi et Grazia recherchent un numéro de téléphone, ils sont surpris de ne pas trouver l'annuaire des Basses-Alpes, oubliant que depuis 1970 ce département a été rebaptisé Alpes-de-Haute-Provence. Et alors qu'ils veulent téléphoner à l'évêché afin de demander un renseignement concernant Corti, la demoiselle (c'est toujours une demoiselle) du guichet téléphonique leur signifie qu'il y a une demi-heure d'attente. L'automatique n'était pas encore en place partout, ce qui amène à nous souvenir du fameux sketch de Fernand Raynaud, le 22 à Asnières.
Merci à Patrick qui se reconnaitra et m'a fait parvenir ce roman.
Georges-Jean ARNAUD : La défroque. Collection Crime Fleuve Noir N°19. Editions Fleuve Noir. Parution février 1992. 224 pages.
commenter cet article …