La mâle addiction du Gitan...
Marvin Molar n'a vraiment pas été gâté par la nature : muet à la naissance, il est affublé de deux embryons de jambes, ce qui l'oblige à marcher comme un cul-de-jatte sur ses mains.
De plus, à la suite d'un accident il est devenu sourd à l'âge de dix ans. Enfin, il suppose qu'il avait dix ans car il ne connaît pas la date de son anniversaire. Abandonné par ses parents alors qu'il avait environ trois ans il a été recueilli par Al Molarski, un ex-lutteur qui dirige à soixante douze ans un gymnase, le Fireman's Gym.
Autres compagnons de Marvin, Pete, un ancien boxeur complètement déglingué par les coups et Leroy, un jeune hébergé depuis quelques semaines qui lui aussi voudrait tâter de la boxe.
Marvin a appris à se servir de ses bras et de ses mains, et il exhibe sa force musculaire dans de petits cabarets et autres patronages. Il est capable de se tenir en équilibre sur une main, sur un doigt et de faire la toupie. Dans cette ambiance macho et quelques peu déglinguée, Marvin possède son jardin secret. Il s'agit de la belle Hester dont les cuisses font rêver notre adolescent infirme mais viril.
Hester s'impose dans la petite communauté et Al, pourtant réticent à toute intrusion féminine, se laisse subjuguer par la belle enjôleuse. Elle régente la cuisine, organise le gymnase et insuffle une nouvelle jeunesse à Al qui s'entraîne en rêvant de redevenir le lutteur qu'il était. Elle débusque l'air de rien de petits secrets dans le passé de Al. Comment celui a failli, par exemple mourir, écrasé par une voiture lors d'une exhibition. Mais elle sait si bien s'y prendre qu'Al ne s'en offusque pas. Toutefois elle attise la jalousie de Marvin en revoyant de temps en temps Aristote, un bellâtre, voyou de peu d'envergure. Il assiste même à leurs ébats amoureux dans le bateau du petit truand et il passe sa rage en réalisant des tours de force en public.
Un combat opposant Leroy et un vieux routier est organisé mais le jeune boxeur est trop tendre. Il perd son match, complètement amoché. Hester joue les provocatrices auprès des quatre hommes, mais de façon naïve. Al reprend l'entrainement, tordant des tire-fond entre ses dents, comme au bon temps de sa jeunesse. Aristote lui aussi nargue Marvin, venant se faire masser dans le gymnase, et Marvin ne peut s'empêcher de lui réserver des tours à sa façon.
Si le roman s'achève sur une note pathétique, tout le reste du livre n'est que dérision et humour. L'infortune d'handicapés auditifs ou vocaux, liée à celle morphologique de Marvin ou mentale de ses amis, pourrait n'être que de l'humour noir déplacé si justement Harry Crews n'avait pas voulu sombrer dans le misérabilisme à outrance et montrer que même diminués physiquement et à force de volonté, on peut toujours dans la vie trouver sa voie.
La description d'une communauté diminuée n'entame en rien la bonne humeur des protagonistes. Et ceux qui ont tendance à se plaindre pour de petits pets de travers devraient y puiser une morale.
Un jour, je trouverai quelqu’un qui m’aimera suffisamment pour me tuer. Et un jour, je trouverai quelqu’un que j’admire suffisamment pour le forcer à le faire.
Harry CREWS: La malédiction du gitan. (The gypsy's curse -1974. Traduction de Philippe Garnier). Collection La Noire. Editions Gallimard. Parution octobre 1993. 240 pages. Réédition Collection Folio Policier N°80. Parution mai 2010. 7,00€.