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14 avril 2015 2 14 /04 /avril /2015 13:07

S’il faut en croire l’auteur dans sa préface, chaque chapitre de ce court roman contiendra soixante-treize assassinats !

Paul FEVAL : La fabrique de crimes.

Evidemment, ceci n’est qu’une accroche propre à méduser, surprendre et estomaquer le futur lecteur. Car il ne faut pas oublier que les romans en ce XIXème siècle paraissaient en priorité en feuilletons, et Paul Féval savait que pour appâter le lecteur, le début se doit d’être assez mystérieux et surprenant. Aussi, l’écriture de la préface n’est pas confiée à un spécialiste, un confrère ou un critique littéraire, mais il se charge lui-même de la rédiger, annonçant la couleur :

Nous aurions pu, imitant de très loin l’immortel père de Don Quichotte, railler les goûts de notre temps, mais ayant beaucoup étudié cette intéressante déviation du caractère national, nous préférons les flatter.

C’est pourquoi, plein de confiance, nous proclamons dès le début de cette œuvre extraordinaire, qu’on n’ira pas plus loin désormais dans la voie du crime à bon marché.

 

Nous savons tous que les records sont faits pour être battus, et le bon Paul Féval s’il vivait aujourd’hui verrait ses cheveux se dresser sur sa tête s’il lisait certaines productions. Pourtant, toujours dans sa préface, ne seront pas comptés les vols, viols, substitutions d’enfants, faux en écriture privée ou authentique, détournements de mineures, effractions, escalades, abus de confiance, bris de serrures, fraudes, escroqueries, captations, vente à faux poids, ni même les attentats à la pudeur, ces différents crimes et délits se trouvant semés à pleines mais dans cette œuvre sans précédent, saisissante, repoussante, renversante, étourdissante, incisive, convulsive, véritable, incroyable, effroyable, monumentale, sépulcrale, audacieuse, furieuse et monstrueuse, en un mot Contre nature, après laquelle, rien n’étant plus possible, pas même la Putréfaction avancée, il faudra, Tirer l’échelle !

 

Mais avant d’aller plus loin dans cette mini étude, je vous propose de découvrir l’intrigue dans ces grandes lignes.

Dans la rue de Sévigné, trois hommes guettent dans la nuit la bâtisse qui leur fait face. Ce sont les trois Pieuvres mâles de l’impasse Guéménée. Ils ont pour crie de ralliement Messa, Sali, Lina, et pour mission de tuer les clients du docteur Fandango. L’un d’eux tient sous le bras un cercueil d’enfant. Un guetteur surveille les alentours, placé sur la Maison du Repris de Justice. Ils ont pour ennemis Castor, Pollux et Mustapha. Ce dernier met le feu à une voiture qui sert à transporter les vidanges des fosses dites d’aisance et derrière laquelle sont cachés les trois malandrins. Sous l’effet de la déflagration, les trois hommes sont propulsés dans les airs, mais le nombre des victimes de l’explosion se monte à soixante-treize. Le docteur Fandango s’est donné pour but de venger la mort d’une aristocrate infidèle, homicidée par son mari le comte de Rudelane-Carthagène. Les épisodes se suivent dans un rythme infernal, tous plus farfelus, baroques, insolites et épiques les uns que les autres. Tout autant dans la forme que dans le fond, dans l’ambiance, le décor, les faits et gestes des divers protagonistes.

Ce malfaiteur imita le cri de la pieuvre femelle, appelant ses petits dans les profondeurs de l’Océan. Avouez que ceci nous change agréablement de l’ululement de la chouette ou du hurlement du loup, habituellement utilisés par les guetteurs et par trop communs. Et puis dans les rues nocturnes parisiennes, au moins cela se confond avec les bruits divers qui peuvent se produire selon les circonstances.

 

Paul Féval ironise sur les feuilletonistes qui produisent à la chaîne, lui-même en tête. Derrière eux venait le nouveau mari de la jeune Grecque Olinda. Nous ne sommes pas parfaitement sûrs du nom que nous lui avons donné, ce doit être Faustin de Boistord ou quelque chose d’analogue. Il est vrai que parfois les auteurs se mélangeaient les crayons dans l’attribution des patronymes de leurs personnages, rectifiant après coup sous les injonctions des lecteurs fidèles, intransigeants et attentifs.

Le sensationnel est décrit comme s’il s’agissait de scènes ordinaires, mais qui relèvent du Grand Guignol : Bien entendu, les malheureuses ouvrières, composant l’atelier des Piqueuses de bottines réunies, avaient été foulées aux pieds et écrasées dès le premier moment ; elles étaient maintenant enfouies sous les cadavres à une très grande profondeur, car le résidu de la bataille s’élevait jusqu’au plafond et les nouveaux venus, pour s’entr’égorger, étaient obligés de se tenir à plat ventre… Le sang suintait comme la cuvée dans le pressoir.

 

Tout cela est décrit avec un humour féroce, débridé et en lisant ce livre, le lecteur ne pourra s’empêcher de penser aux facétieux Pierre Dac et Francis Blanche dans leur saga consacrée à Furax ou à Cami pour les aventures de Loufock-Holmès, ainsi qu’à Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel Allain. A la différence près que Paul Féval fut un précurseur, et ces auteurs se sont peut-être inspirés, ou influencés, par cette Fabrique de crimes. Nous sommes bien loin de l’esprit du Bossu et autres œuvres genre Les Mystères de Londres, Alizia Pauli, Châteaupauvre, ou encore Les Habits Noirs, Les Couteaux d’or ou La Vampire. Quoi que…

Paul FEVAL : La fabrique de crimes. Editions SKA. version numérique. 3,99€.

(Précédente édition Collection Labyrinthes. 160 pages. Volume offert pour l'achat de trois ouvrages dans la collection Labyrinthes. Parution juin 2012).

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