Troublez-moi, j'aime ça...
Un endroit sinistre, une zone industrielle la nuit, des coups de feu et Nicholas Bog-Bat qui perd connaissance quelques secondes. Un tireur dont il n'a pu apercevoir les traits a enfoncé son arme sur la tempe du commandant Ykse, son supérieur.
Pour Nicholas, c'est le cauchemar qui commence, ou qui continue. Un appel anonyme l'avait invité à se rendre dans cette friche industrielle à la rencontre d'un cadavre. Il s'y était rendu en compagnie de Ykse et de son adjoint Matthias. Le temps que Matthias aille prévenir les collègues et tout s'était décanté et en même temps embrouillé. Nicholas est blessé mais ce n'est pas ce qui importe. C'est ce qu'il va devenir.
Dans sa chambre d'hôpital, mais ce n'est peut-être qu'un rêve ou un cauchemar, le tueur lui rend visite et déclare se prénommer Luc. Et lui remet une clé, lui indiquant que cela pourrait lui être utile par la suite, lui conseillant d'être fort.
Une infirmière qui l'a soigné avant qu'il retombe dans les limbes est découverte assassinée. De la même manière que les autres.
Le commandant Odum prend la tête de la brigade en remplacement immédiat de Ykse, comme si tout était préparé depuis des semaines. Nicholas n'est pas en odeur de sainteté et Gaspard Tienne, de l'IGS ne cesse de le tarabuster. Comme si Nicholas était pour quelque chose dans tout ce qui arrive, dans les cadavres qui sont recensés depuis quelque temps et dans le meurtre de Ykse.
Il est vrai que le tueur n'y va pas de main morte, façon de parler. Les corps qu'il sème derrière lui n'ont plus de globes oculaires, que deux morceaux de charbon, et à l'intérieur du crâne, le cerveau n'est plus qu'une bouillie brune et poisseuse.
Les deux premiers cadavres ont été retrouvés dans une chambre non loin du domicile de Nicholas. Domicile, c'est un bien grand mot, un garage aménagé avec une ouverture, vue sur le ciel. Et l'un des cadavres était Amélie Pratt, qu'il connaissait.
Nicholas a dégringolé la pente insidieusement. Son frère Gabriel est, était une sommité dans la psychanalyse moderne, balayant l'inconscient, le moi et le reste et leurs mécaniques obscure. Mais c'était avant. Et Nicholas a usé et abusé de la drogue durant plus de deux ans. Il s'en est sorti, mais il boit.
Il veut comprendre. Le tueur lui en veut, certes, mais pourquoi? Alors il prend la route et s'arrête loin d'où il vient, dans un routier. Il boit, trop, prend l'air pour s'allonger, faire un somme réparateur. Il est tiré brutalement du néant par des appels, des cris. La caissière a disparu. Non elle est retrouvée, morte.
Dans l'ombre, se déplace Virgile, grand Noir qui se comporte en vieux gourou, en maître à penser. Pour l'heure il doit assurer l'enseignement d'une jeune fille, une gamine même pas encore majeure, il doit l'initier aux savoirs dévolus à ses semblable. Loah qui n'est pas aussi naïve que son âge pourrait le laisser penser, se conduit comme une manipulatrice.
Dans une ambiance glauque, une atmosphère poisseuse, une descente aux Enfers que n'aurait pas renié David Goodis, le lecteur est trimbalé, transbahuté, chahuté, au gré des pérégrinations de ce policier à la dérive. Le doute s'installe dans un flou artistiquement entretenu, avec l'intrusion de Virgile dont on sait pas trop ce qu'il veut, ce qu'il est, ce qu'il enseigne. Pourtant il n'apprécie guère les religieux même s'il est amené à les croiser.
Nicholas barbote, au propre comme au figuré dans la fange, et son passé lui revient en pleine figure, et ses ennuis avec sa hiérarchie, avec l'IGS, avec ses collègues ne se comptent plus. La faute a une dégringolade non programmée.
Roman de l'ombre, nimbé de flou, entouré de voiles qui ne se déchirent qu'à contrecœur, avec des accents de métaphysique, Les âmes troubles est véritablement troublant, dérangeant, premier roman d'un auteur manipulateur dont on se demande s'il n'a pas tout jeté dans ce premier titre, ou s'il en a d'autres en réserve, ce qui promet un bel avenir.
- Des philosophes, grommela-t-il. J'ai côtoyé nombre d'auteurs qui s'arrogeaient ce titre. Leur ardeur allait plus à l'élévation de leur égo qu'à celle de leurs semblables.
- Certains ne manquent pas d'intérêt.
- Des rescapés qui ne doivent leurs fulgurances qu'à des prises élevées de stupéfiants. Ils parlent comme si le monde avait leur oreille. Tellement pénétrés par leur clairvoyance qu'ils en oublient d'être humbles.
Olivier TAVEAU : Les âmes troubles. Le Masque Poche N°60. Editions du Masque. Parution le 25 mars 2015. 400 pages. 7,90€.