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5 avril 2015 7 05 /04 /avril /2015 15:31

Loup y est-tu ?

Jean-Pierre PERRIN : un entretien.

 

Entretien paru dans la revue 813 N°56, octobre 1996.

 

Dans la série "les jeunes auteurs sont passés à la moulinette", après Paul Borelli, Jean-Jacques Busino, Pascal Dessaint et Olivier Thiébaut, offrons-nous une excursion dans l'imaginaire de Jean-Pierre Perrin, qui vient de publier Le Chemin des loups aux éditions de La Table Ronde.

 

 

Jean-Pierre PERRIN : un entretien.

Après avoir voyagé dans toutes les parties du globe où il se passait un événement politique, Francis le narrateur débarque à Besançon soi-disant comme envoyé spécial. En réalité c'est une voie de garage, une punition pour avoir purgé quelques mois de prison. Il a oublié son rôle de journaliste et a frayé avec les terroristes de l'ETA ou du Sin Fein irlandais. Le couperet est tombé, et le voilà seul, désemparé, dans la cité horlogère. Un cadavre dépecé est repêché dans le Doubs, et il se fait remonter les bretelles par sa direction pour ne pas avoir fourni la primeur de l'information. D'abord il n'était même pas au courant, trop absorbé à écluser et à se débattre avec ses souvenirs. Seulement son passé le rejoint avec l'arrivée d'Angela qui lui avait permis de découvrir la vie clandestine de l'organisation indépendantiste d'Euskadi. Alors qu'il croyait subir une petite vie pépère, ennuyeuse dans une ville engluée sous la neige Francis se trouve plongé dans une enquête qui se transforme vite en rodéo.

 

Lui-même journaliste à Libération, Jean-Pierre Perrin décrit la région de Besançon avec réalisme, sans pour autant user des clichés de carte postale ou dépliant d'offices du tourisme. Et s'il utilise quelques poncifs du roman noir - le héros s'imbibe d'alcool pour oublier sa déchéance et ses ennuis, il écoute du jazz et du blues et se fait consoler par les femmes après avoir donné horions et récolté plaies et bosses, ce que l'on pardonnera volontiers pour un premier roman - Jean-Pierre Perrin développe des thèmes d'actualité et griffe au passage les nouveaux philosophes. Sérieux et humoristique à la fois, Chemin des Loups est la bonne surprise de la rentrée, et espérons que nous retrouverons le journaliste Francis dans de nouvelles aventures !

 

Timide ou pudique, Jean-Pierre Perrin ne se dévoile qu'à petites touches. Aussi ne vous attendez pas à de fracassantes révélations sur sa vie privée. En voici toutefois quelques bribes :

- Je fus un élève paresseux et laborieux qui n'arrivait pas à mieux faire. En 1974, un voyage de quatre mois en voiture sur la route des Indes m'a permis de faire mes humanités ailleurs qu'en fac. Je professe une longue passion pour l'Himalaya, ce qui m'a permis d'étudier le Lhamo ou grand opéra populaire tibétain - un truc qui dure huit heures et s'avère terriblement ennuyeux dès la première seconde. Une de mes secondes patries est l'Afghanistan, pays que j'adore quand j'arrive et que je hais quand j'en pars. J'ai vécu en Iran après la Révolution, et, pendant trois ans, dans quelques émirats arabes. J'ai longtemps bossé à l'AFP, en province et à l'étranger, puis j'ai été adjoint du service étranger de Libération de 1992 à 1995. Aujourd'hui je suis responsable de la rubrique Proche, Moyen-Orient et Asie centrale.

 

- Etes vous un grand lecteur de polars ou de romans noirs?

- Malheureusement, oui. Malheureusement parce que, trop souvent, je me laisse aller à lire un polar médiocre, convenu, besogneux au lieu d'aller à la découverte d'auteurs de genres différents ou de relire quelques classiques. J'adore la poésie et je me maudis parce que cela fait plusieurs années que je n'ai pas relu René Char, Lorca, Rimbaud,... Disons que le polar encourage ma paresse naturelle, en tout cas, il me sert de bouc-émissaire. Polar, levez-vous ! Z'êtes accusé d'avoir corrompu un honnête lecteur.

 

- Quels auteurs ont votre pr‚f‚rence ?

- D'abord Cervantès. C'est le père de la littérature moderne, et peut-être celui du polar. Car la quête à la fois dérisoire et sublime de Don Quichotte annonce celle des privés que j'affectionne. Il y a la solitude, les moulins à vent, les plaies et les bosses et au bout du long et âpre chemin une vérité souvent amère. Quand Cervantès écrit que "la meilleure auberge, c'est le chemin", il veut dire que la quête de la vérité est plus importante que la vérité et je souscris tout à fait. Est-ce à cause du "chevalier à la triste figure" que j'apprécie beaucoup les auteurs espagnols, comme Gonzales Ledesma - Soldado (L'Atalante) est un très grand bouquin - ou Mendoza, beaucoup moins Juan Madrid. Quant à Montalban, je trouve que Pépé Carvalho, son privé, s'empâte un peu de livre en livre. Il va bientôt ressembler à Sancho Pança. Attirance extrême aussi pour le polar américain. Dans un genre très différent, Chandler et Ellroy me semblent indépassables. En revanche, je plaide coupable de bailler en lisant Hammett; certes il y a le style Hammett mais je n'arrive pas à m'intéresser à ses histoires. C'est grave, M'sieu le commissaire politique? Combien je vais prendre d'années de rééducation? Du côté français, j'aime tout particulièrement la petite musique de Pouy; mes derniers coups de cœur datent d'ailleurs un peu : "La belle de Fontenay" de Pouy (Série Noire) , "Quai de l'oubli" de Philippe Huet (Albin Michel), et "Fou-de-coudre" de Setbon (Rivages Noirs). Hommage aussi à nos chers disparus : Cook, Manchette, ADG - je sais qu'il n'est pas mort mais vu ce qu'il a pondu ces dernières années, c'est comme si. J'ai du mal à citer de jeunes auteurs mais je ne les connaît pas tous. Globalement, si je me fonde sur les lectures, je trouve que le polar français manque d'ambition.

 

Vous avez cité en premier Cervantès comme auteur ayant votre préférence. Est-ce pour cela que deux personnages de votre nouvelle "Le matador" (cf 813 N°47) ressemblent physiquement à Don Quichotte et Sancho Pança ?

- Maintenant que vous me le dites, peut-être. Mais c'est inconsciemment que je les ai décrits ainsi. Une réminiscence littéraire involontaire qui s'est glissée à mon insu.

 

- Votre héros vous ressemble-t-il ?

- Pas du tout. Il aime surtout les whiskies pur malt des Lowlands, je préfère ceux des Highlands. Pareil pour le jazz, il en préfère la part sombre, Coltrane, Monk... j'aime tout autant la part lumineuse du jazz, celle d'un Stan Getz par exemple. Les femmes, il les préfère brunes et moi plutôt blondes. Et si lui a beaucoup traîné dans les maquis kurdes, j'ai plutôt couru ceux des moudjahidines afghans.

 

- Etes-vous proche sentimentalement des révoltés, des séparatistes, des révolutionnaires ?

- Instinctivement, j'éprouve de la sympathie pour tout homme qui se révolte contre un ordre établi en gueulant qu'il n'est pas un esclave; j'avoue d'ailleurs avoir passé mes vacances pendant plusieurs années à trimballer clandestinement des montagnes de fric pour une guérilla lointaine. Cela dit, une fois cette sympathie passée à travers le tamis de la raison, les nobles causes sont souvent moins nobles. La cause irlandaise est belle mais je tiens les militants de l'IRA pour des barbares. Leur façon de rendre la justice est épouvantable : les violeurs doivent être sévèrement punis mais méritent-ils pour autant le châtiment dit du "pack de quatre" ? Une balle dans chaque genou, une autre dans chaque coude. Et pour que les balles rendent à jamais invalide le supplicié, elles sont tirées de l'intérieur de l'articulation afin de faire éclater les os. Imaginons maintenant que les bourreaux se soient trompés de bonhomme ! En revanche, comme rien n'est simple, la mort de Bobby Sands et de ses copains à la prison de Long Kesh après une grève de la faim effroyable et la méchanceté sinistre et crasse de l'oraison de Margareth Tatcher m'ont beaucoup touché. Je n'ai pas pu m'empêcher de rappeler cet épisode dans Chemin des loups. Quant à l'ETA, c'est pire. Autant j'ai applaudi des deux mains quand ils ont fait sauter Carrero Blanco, l'âme damnée de Franco, autant je les trouve ignobles quand ils flinguent un flic dans l'Espagne de Felipe Gonzales, pour ne rien dire des attentats contre les civils. Tout ça pour dire que si la révolte armée est légitime dans une dictature ou une autocratie, elle est inadmissible dans une démocratie. Reste à voir tout cela sous l'angle littéraire : un homme traqué, en lutte contre l'ordre établi, qui risque sa peau pour un idéal, c'est toujours passionnant.

 

- L'alcool, le Jazz, les femmes sont la marque de fabrique du roman noir. Etait-ce raisonnable de les incorporer à votre roman ?

- C'est vrai, ce sont des poncifs mais j'avais envie de m'amuser avec les lois du genre. Le critique de la revue Lire prétend même que Chemin des loups est une variation ironique sur l'art et la manière d'écrire un roman noir. Il a raison mais ce n'est pas l'essentiel. Ensuite, comme le livre tend à s'échapper du côté des grands espaces, j'avais envie de bien le marquer "Polar" avec ces trois fers rouges dès les premières pages. Le prochain roman sera plus blues et plus bourbon; John Lee Hooker, Buddy Guy, Tony Joe White et Mary Chapin Carpenter vont relayer Parker, Coltrane et Gil Evans. Le Jack Daniels et d'autres bourbons vont remplacer l'Auchentoshan écossais. Il faut varier les plaisirs.

 

- La ballade en traîneau tiré par des chiens est une image forte. Avez-vous vous même fait de semblables ballades? Incidemment cela me fait penser un peu à Jack London.

- Je connais assez bien le Jura, ce qui m'a valu de rencontrer un coureur des bois qui vit de ses chiens et de son traîneau. Sa relation avec ses groenlandais est celle que j'ai décrite. J'ai emprunté le nom de ses chiens et les mots qu'il emploie pour les diriger. Si j'ai imaginé cette course folle entre traîneau à chiens et scooter des neiges, c'est pour essayer d'emmener le polar au-delà de ces autres poncifs que sont l'éternelle filature, les poursuites en bagnole... Là encore, il faut varier les plaisirs. Pour Jack London, je ne sais pas si je lui dois ou non quelques chose. C'est vrai que la fin du livre a un côté L'appel de la forêt. C'est vrai encore que Chemin des loups louche un peu du côté du roman d'aventures. Mais je suis plus fasciné par les personnages d'aventuriers de Conrad et de Malraux que par ceux de London.

 

- Que privilégiez-vous dans un roman : l'atmosphère, la trame, l'écriture ?

- L'intrigue est fondamentale, sinon je m'ennuie, que ce soit en lisant ou en écrivant. Et l'écriture l'est tout autant. Si c'est mal écrit, je ne suis pas client. L'atmosphère, c'est évidemment important comme la densité des personnages. Je renifle d'ailleurs tout de suite les auteurs qui ont imaginé leurs personnages derrière leur claviers d'ordinateurs et ceux qui sont allés les chercher dans la vie, que ce soit la rue ou ailleurs. Car, bien sûr, ça se ressent à la lecture des bouquins.

 

- La carte de visite d'un journaliste, à Libération ou tout autre journal, sert-elle de sésame dans la publication d'un roman ?

- Excellente question, ça me fait très plaisir d'y répondre. D'abord, le copinage entre la presse et l'édition a quelque chose de honteux. C'est le renvoi d'ascenseur permanent. Un critique de bouquins a cent fois plus de chances de voir son premier roman publié par un éditeur qu'un auteur inconnu. C'est différent pour un journaliste qui ne bosse pas dans la Culture avec un grand C comme crotte. Car il n'est pas en situation de renvoyer l'ascenseur à un éditeur, donc il ne l'intéresse pas. Ne connaissant personne dans l'édition, j'ai donc fait ce qu'il ne faut surtout pas faire : déposer son manuscrit au hasard de quelques maisons d'édition de polars et attendre. Résultat, on m'a traité comme si j'étais un verre de Beaujolais nouveau qui se serait glissé dans un caveau d'œnophiles : un éditeur n'a jamais ouvert le manuscrit, un autre ne m'a jamais répondu... Donc, petit conseil à ceux qui veulent se lancer dans l'aventure : ne jamais envoyer votre manuscrit par la poste, ni le déposer sur la pile. Il faut se débrouiller autrement, rencontrer un auteur par exemple qui fera l'intermédiaire. Comme on m'avait dit que les éditeurs disons classiques étaient bien pires, j'étais donc résolument pessimiste en déposant mon manuscrit à la Table Ronde où j'avais simplement eu l'assurance qu'il serait lu. Quelques semaines plus tard, j'avais une réponse. Surprise ! Accueil chaleureux et même affectueux, l'impression d'être dorloté.

 

- Francis sera-t-il le héros de nouvelles aventures ?

Je ne le pensais pas mais je suis bêtement sensible à l'opinion des critiques et déjà trois d'entre eux, dont vous Paul Maugendre, ont souhaité le retrouver. Mais comme c'est déjà un grand brûlé de la vie, j'espère que son âme aura le temps de cicatriser avant les prochaines aventures.

 

- Quels sont vos projets ?

- A quarante quatre ans, j'arrive assez tard dans le monde du polar mais c'est peut-être parce que je n'étais pas prêt avant. Pour bien écrire des histoires, je crois qu'il faut les avoir un peu vécues. Les imaginer ne me suffit pas. Si "Fat City" est le film le plus juste sur le monde de la boxe, c'est d'abord parce que John Huston est un ancien boxeur. Un passage à tabac, autre exemple, ça se raconte quand même mieux si on l'a vécu soi-même, on sait au moins ce qu'on a pensé à ce moment-là. Ça fait surement vieux con de le dire mais j'assume : toute cette extrême violence dans lesquels baignent nombre de polars français, dont on dit beaucoup de bien dans les gazettes, ont été écrits par de jeunes auteurs qui, visiblement, n'ont jamais pris de vrais gnons, ou alors à la maternelle. Et ça me gêne beaucoup parce que ces histoires sonnent faux. C'est comme l'amour, est-ce qu'on peut arriver à en parler sans avoir été amoureux ? Cela dit, j'entends bien rattraper le temps perdu : j'ai donc deux polars en chantier. Deux parce que l'un et l'autre mettent en scène des personnages et des lieux que j'ai un temps approchés ou fréquentés et que je ne peux plus revoir. Donc, la mémoire perd des bribes de souvenirs, des détails, des impressions, des paroles. Et si je me concentre sur un seul bouquin, j'ai peur que les souvenirs relatifs à l'autre histoire, notamment les propos tenus par certains personnages, s'estompent encore plus vite. Le premier se passe dans les Vosges. Point de départ, une histoire de collaboration et d'épuration sur laquelle j'ai fait une longue enquête. L'histoire est terrible, si terrible que j'ai peur qu'elle puisse paraître exagérée. Comme dans Chemins des Loups, je mélange fiction et réalité. Le héros, cette fois, sera un ancien otage du Liban venu régler quelques comptes dans la région. Il va découvrir que, quarante ans avant, il y a eu d'autres otages et d'autres bourreaux, cette fois des Français. Le second se passe dans le Golfe Arabo-persique. Là, le héros est un de ces flics français chargés de la sécurité des émirs, un pote du capitaine Barril. Il veille aussi à ce que les fabuleuses commissions secrètes sur les ventes d'armes à ces pays arrivent bien directement dans la poche de nos hommes politiques, de droite comme de gauche. Catastrophe, un jour il dérape en direction du droit chemin. Comme nos juges n'enquêtent pas sur de telles affaires et que les preuves matérielles sont impossible à réunir, il me restait le polar pour parler des eaux troubles du Golfe. Corruption, esclavagisme, trafics en tout genre, violences politiques et sociales, terrorisme d'Etat, le Golfe c'est aussi ça. Il y a longtemps, c'était Babylone.

 

Déjà Jean-Pierre Perrin est absorbé par son travail de journaliste. Des événements aux Proche-Orient requièrent son attention. Peut-être y trouvera-t-il l'idée d'un autre roman ?

 

 

Bibliographie (Extrait) :

Le Matador. Nouvelle 813 N°47

Les petite rats de l'an 2000. 813N°72/73. Octobre 2000.

Chemin des loups. La Table Ronde. Août 1995.

L'Iran sous le voile. Editions de l'Aube. Mai 1998

Chiens et louves. Série Noire N°2556. Avril 1999.

Les Rolling Stones sont à Bagdad. Irak, dans les coulisses d'une guerre. Flammarion. Septembre 2003.

Jours de poussière. Choses vues en Afghanistan. Editions des Syrtes. Réédition La Table Ronde. Septembre 2003.

La machination. Grancher. Janvier 2004.

Le Paradis des perdantes. Stock. Mai 2006. Réédition le Livre de Poche 2008.

La mort est ma servante. Fayard. Octobre 2013.

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