Bon anniversaire à Alexandre Lous, alias Jean-Baptiste Baronian, né le 29 avril 1942.
Coincée entre un canal désaffecté et le Bois-Rouge, s'étend la Zone, triste conglomérat insalubre de baraquements, de caravanes, d'assemblages de planches, de tôles, de plastique ondulé, de matériaux de récupérations diverses.
De végétation, point, ou presque, tout étant englouti sous la poussière, la ferraille, les immondices, les déchets. Lorsqu'il pleut, les chemins de terre ne sont plus que des marécages, l'eau effaçant traîtreusement les nids de poule.
Dans cet endroit sordide, relégué loin de la ville, vivent, survivent, des chômeurs, des exilés, des exaltés, des émigrés de toutes races, de tous pays, formant un ensemble disparate et pourtant soudé, tout au moins en surface. Freddy le mystique, Stépan le Yougoslave, Chapeau-mou, Jonathan et Léon le Zaïrois, mais aussi le Grec, le Sicilien, l'Espagnol, le Turc, le Marocain, l'Egyptienne; ainsi que leurs femmes et leurs enfants, Julie, Irène, les frères Kojak, Gadi, Boga. Sur cette tour de Babel en ruine règne le Boiteux. Le Boiteux qui possède une Buick blanche et vit dans une vraie maison, sur la colline, au-delà du Bois-Rouge, forteresse à l'aspect sévère et rébarbatif.
Un matin, pas pire que les autres pourtant, on découvre Irène la fille du Grec, seize ans, étranglée. Le commissaire Delvaux, dépêché par la ville pour enquêter, se voit confronté à sa première grande affaire, son premier meurtre, depuis dix-sept ans qu'il exerce son métier.
Mal dans sa peau, ce n'est qu'un minable, un lamentable, un miteux, un piteux, un incapable en un mot. Tandis que Carl, son adjoint, c'est tout autre chose. Bouillant, fringant, il ne s'en laisse pas conter. Ce n'est pas lui qui va manger dans la main du Boiteux, au contraire ! Commence alors l'enquête dans ce décor pitoyable, dans cet univers glauque, dans ce cloaque. Une histoire digne de Goodis.
Les réactions déchaînent les passions, l'angoisse s'immisce, l'exaltation des uns amènent l'abattement des autres, le découragement, le dégoût, l'écœurement s'emparent de certains. Pour d'autres, il y a toujours un petit coin de ciel bleu à l'horizon. Des utopistes.
Pendant que les adultes se débattent, essayent de comprendre pourquoi et par qui ce fléau, la mort d'une jeune fille, est arrivé, Julie la fille du Yougoslave, loin de toute cette turbulence, visite la maison du Boiteux. Mais cela ne va-t-il pas attirer le malheur sur cette jeune existence ?
Alexandre Lous signe là peut-être son meilleur roman, avec Matricide. Cet écrivain qui rend si bien cette atmosphère glauque, aux relents acres de misère et de déchéance, est bien connu pour ses critiques pertinentes du roman policier puisqu'il signe une rubrique régulière dans le Magazine Littéraire. Mais aussi sous son véritable patronyme de Jean-Baptiste Baronian, c'est un chercheur, un bibliophile, un essayiste, un anthologiste infatigable et passionné, spécialiste du fantastique.
Alexandre LOUS : Jugement dernier. Collection Sueurs Froides. Editions Denoël. Parution février 1988. 204 pages.