Douce et verte Irlande !
Leenane, joli petit port situé dans le Connemara, à quelques dizaines de kilomètres de Galway, n'avait jamais connu pêche si miraculeuse. Pour constater ce phénomène, Andrew Richards, de la police criminelle de Londres est même dépêché sur place. Il est vrai que ramener dans son filet un poisson humain n'est guère courant, surtout quand le corps a été déchiqueté au niveau du ventre et qu'une inscription y a été gravée : I.V. Normalement cette affaire incombe à la police irlandaise, et donc à Nuala Mc Feen, de la police du comté de Dublin. Mais la victime étant une ressortissante anglaise, il y a bien du travail pour deux.
D'autant que, lorsque Andrew Richards arrive sur place, l'effervescence règne sur les quais, effervescence qui n'est pas due à la présence de Nuala. Une jambe et deux doigts ont été ramenés dans un filet garni, et là encore sur le membre, l'inscription I.V. figure. Il ne s'agit pas d'un tatouage à la mode, et il faut en découvrir la signification.
Evidemment il ne faut pas s'attendre à ce que les deux policiers tombent immédiatement dans les bras de leur partenaire imposé. Mais bien faire contre mauvaise fortune bon cœur. D'ailleurs ils vont coucher dans le même hôtel, mais pas ensemble, je le précise au cas où vous auriez des idées de rapprochement incompatible entre deux représentants de nations ennemies. A la réception Andrew récupère une lettre contenant la liste du personnel embarqué à bord du Bloody Mary, le navire ayant récupéré le cadavre. Il est étonné que parmi l'équipage Irlandais figure un Anglais.
La victime, une touriste du nom de Mary Hogdson, venait de Liverpool et tandis qu'Andrew continue son enquête sur place, Nuala s'envole pour le port anglais, célèbre pour son groupe de rock, les Beatles. Selon le médecin légiste, les scarifications auraient été perpétrées à l'aide d'un harpon, et il reste des traces de graisse ancienne.
Une nuit Andrew aperçoit sur le bord de la falaise, de l'autre côté du fjord Killary, une silhouette semblant porter une charge. Le lendemain il fait part de sa vision nocturne à Nuala, mais la jeune femme ne s'intéresse guère à son propos, parlant d'une légende d'un sauvage. Andrews se rend de-ci delà, recueillant des informations, des témoignages. Une missive lui est même remise, signée par l'un des marin, un benêt parait-il, pourtant ce qu'il écrit intrigue fortement Andrews. Cette lettre évoque Brad, le marin anglais qui faisait partie de l'équipage et qui a disparu ainsi que du sauvage.
Alors Andrew décide de se rendre sur place de l'autre côté du fjord car à n'en point douter les corps ne sont pas venus de la mer mais ont été jetés du haut de la falaise. Il loue une barque puis grimpe le flanc abrupt du fjord. Pas pour rien puisqu'il découvre dans un sentier bordé de rocher quelques objets. D'abord un passeport au nom de Mary Hogdson et un morceau de plastique, puis plus loin un collier muni d'un pendentif. Le médaillon renferme deux photos. Au dos de l'une d'elle figure l'inscription P. Loughnane.
Ce nom va entraîner Andrews dans les années 1920, alors que les soldats anglais sévissaient dans le Connemara et toute l'Irlande, que des mercenaires, les Black and Tans torturaient les autochtones rebelles à la couronne. Patrick Loughnane était un indépendantiste et Andrews va découvrir son histoire en se rendant à Galway, au National Library.
Les fêlures, les fractures, les crevasses existent toujours même si apparemment les combattants de l'indépendance de l'Irlande ont signé un pacte envers leurs ennemis de longtemps, sinon de toujours, les Anglais. Et il était inévitable que les années noires du Sin Fein ressurgissent dans ce roman. Une trace indélébile marque à tout jamais leur histoire et même les plus jeunes en connaissent les soubresauts, tout comme d'autres contrées réagissent à une spoliation de leur indépendance, leur intégrité, leur liberté. On en a tous les jours la preuve avec la Catalogne, la Belgique déchirée en deux, et bien d'autres pays. Et l'auteur a construit son intrigue sur ces années noires, sans pour autant s'immiscer dans le conflit avec une vision partisane. Seulement il décrit les faits réels qui se sont déroulés avec leur lot d'exactions.
Si la première partie du roman est consacrée à la découverte des corps et au début de l'enquête entreprise par Nuala et Andrews, la deuxième partie plonge le lecteur dans une période trouble qui fascine et révulse à la fois. On ne peut s'empêcher de penser aux auteurs Irlandais tels que Liam O'Flaherty qui écrivirent avec passion le combat, leur combat. La troisième partie est consacrée à la suite de l'enquête, à ses retournements de situations et au dénouement final qui peut sembler banal mais n'est pas anodin.
Selon les situations le lecteur est confronté à une enquête d'énigme classique, à une reconstitution historique et à un épilogue ancré dans un quotidien ordinaire, tel que peuvent le vivre bon nombre de personnes mais qui ne laisse jamais indifférent. Entre classicisme, roman noir, roman social, I.V. joue sur plusieurs tableaux mais ne s'emmêle pas les filets de pêche dans les harpons du manichéisme. Chacun des protagonistes possède ses failles qu'il ne faut jamais négliger ou occulter.
Raphaël GRANGIER : I.V. Editions Paul & Mike. Parution le 30 octobre 2014. 308 pages. 16,00€.