Lorsque Polar et Anticipation font bon ménage
Publiées à l'origine en deux romans à quelques mois de distance, dans la collection Anticipation du Fleuve Noir sous les numéros 1386 en juin 1985 et 1447 en avril 1986, voici enfin réunies en un volume les aventures de Face Wilson, dans une version revue et corrigée par l'auteur.
Poupée tueuse :
Los Angeles 2195.
Lorsque ses collègues évoquent sa compagne Face, Samuel Lance est quelque peu gêné. Ils lui demandent pourquoi, depuis les cinq ans qu'il vit avec elle, qu'ils ne se sont pas encore mariés, mais surtout s'il n'a pas peur qu'elle le trompe durant ses longs déplacements. Faut comprendre : Face est plus que belle, fine, élégante, racée. Sam affirme qu'il a toute confiance en elle, et pour cause.
Super-pompier, il est envoyé avec son équipe sur tous les fronts, là où les incendies de plates-formes pétrolières peuvent mettre la planète en danger. Il part parfois pour plusieurs semaines, et lorsqu'il rentre il retrouve Face toujours disponible. Car il faut préciser qu'il a choisi Face sur catalogue et qu'il paie une location pour la garder un temps donné. Face est un clone, une réplique, une création comme préfère les appeler l'Human' Figure, la firme qui commercialise ces poupées quasiment humaines. Aussi quand il doit quitter son domicile, il procède à une petite intervention sur Face. Il lui retire de la nuque une plaquette informatique, programmée pour une fonction érotique, et la remplace par une plaquette neutre.
Ce qui n'était pas prévu c'est le décès de Sam et de quelques compagnons dans l'incendie d'une Centrale Atomique en Afrique du Sud. Face apprend la mauvaise nouvelle par la télévision.
Lorither, le patron de Sam, reçoit la visite de Latona, représentant la Human's Figure. L'homme veut récupérer Face, car pour cette entreprise elle n'est qu'un objet. Celui qui l'avait en location étant décédé, le loyer ne peut plus être encaissé, et donc Face doit être recyclée. Lorither prévient la jeune femme et lorsque Latona se présente chez Face, celle-ci l'attend de pied ferme. Ce n'est pas parce que ses fonctions érotiques lui ont été ôtées qu'elle ne réfléchit pas. Latona va en faire la douloureuse et mortelle expérience. Sam avait entraîné sa compagne au tir à la carabine et au pistolet, des enseignements que Face avait assimilés. Latona décède et Face s'enfuit emportant avec elle l'arme à feu qui lui a permis de se débarrasser de l'importun.
Le voisinage n'est pas sourd et la police est immédiatement prévenue. Le directeur des relations extérieures de l'Human's Figure engage un tueur pour détruire Face. La jeune femme entame un parcours périlleux qui va la mener chez Estelle, une artiste peintre qu'elle a connu quelques mois auparavant, lui avouant son statut de création, mais bientôt elle doit s'enfuir de nouveau. Elle s'enfonce dans le Chinese Center, un lieu mal famé, afin de trouver refuge auprès de Liu-Chang, un ami de Sam qui dirige un Libido'Bar. Pas besoin d'explications pour s'imaginer quel est ce genre d'endroit. Liu-Chang lui fournit une nouvelle identité, celle d'une personne ayant réellement existé mais disparue dans un accident deux ans auparavant. Car Face est enregistrée au Fichier Central Unifié. La cavale ne peut se terminer ainsi, d'autant qu'un individu du nom de Mallus l'invite chez lui. Seulement, Face ressent du plaisir à tuer, ce qui n'était pas prévu dans sa programmation informatique, et les cadavres vont s'éparpiller autour d'elle.
Poupée cassée :
Toujours en fuite, Face est traquée aussi bien par le maire et les forces de Sécurité Urbaine, que par l'Human's Figure, deux entités à laquelle s'ajoute la Ligue des milices, représentée par le colonel Greencask. Même si la plupart des personnes concernées savent pertinemment que Face est une réplique, une création, tous souhaitent ardemment que ce statut ne soit pas porté à la connaissance du public. Face est une femme, une tueuse, qu'il faut annihiler à tout prix.
Arrêtée, Face doit être présente lors de la reconstitution de sa précédente tuerie. Tous ces acteurs sont présents ainsi qu'une carcérologue chargée d'analyser son comportement meurtrier et que Cosamostra, son avocat réputé comme adversaire implacable face aux juges. Un hélicoptère survole les lieux et deux techniciens, en réalité des hommes de la Human's Figure, aident à l'enlèvement des deux jeunes femmes qui se retrouvent enfermées dans un entrepôt, après un voyage en canot sous-marin et camion frigorifique aménagé. Quant aux deux techniciens, ils ont été froidement abattus. Face cherche une solution pour s'évader, et l'un de ses gardiens va lui faciliter cette issue en compagnie de la carcérologue. Mais et après... ? Que va devenir Face ?
Dans ce double roman qui date de 1986 les progrès technologiques, informatiques et autres imaginés par Jean Mazarin ont été depuis réalisés ou sont en passe de l'être. Ce qui signifie que le lecteur ne se trouve pas en face d'un roman d'anticipation farfelu, dans lequel les inventions seraient délirantes. Seul le statut de Face, qui fait face justement à un avenir et des réactions programmées, pourrait faire sourire. Pourtant les émotions ressenties par Face se modifient au fur et à mesure de ses pérégrinations et des épisodes qu'elle va vivre. Mais si l'implant de plaquettes informatiques n'est pas encore à l'ordre du jour, on se rend compte qu'avec l'intégrisme, religieux par exemple, de nombreux jeunes en manque d'idéal ou justement parce qu'ils pensent en trouver un, peuvent devenir des tueurs en puissance par endoctrinement savamment orchestré.
Les pouvoirs politiques et judiciaires sont sous la coupe de financiers et d'entreprises qui dictent leur loi, et seul l'argent règle en sous-main les édiles qui peuvent émettre leurs déclarations dans un sens sachant que de toute façon ils seront obligés de composer face à des pressions occultes. Et ça ce n'est pas nouveau. Les minorités, comme la Ligue, prennent de plus en plus d'importance dans les décisions politiques, malgré leur peu de poids apparent. Mais ça aussi on le voit tous les jours, les hommes politiques s'inclinant devant les désidératas de petits groupes organisés de contestataires à telle ou telle décision, quitte à changer de discours le lendemain devant d'autres électeurs favorables potentiellement.
Mais il ne faut pas croire que ce roman est un pensum comme parfois peut l'être un roman de S.F.
Il n'y a qu'à appuyer sur la touche lecture et se laisser glisser agréablement en pilotage automatique sur l'autoroute, sans péage, des pages jusqu'au dénouement. Parcours agréable assuré.
Jean MAZARIN : Poupées. Collection Blanche n°2114. Editions Rivière Blanche. Parution 2014. 238 pages. 17,00€.