A ne pas confondre avec la robe de communiante en ruines.
Lorsque Philippe Ward a reçu le manuscrit du roman Les Vestiges de l’aube, il a tout de suite compris qu’il avait en main un diamant, brut. Avant de le publier chez Rivière Blanche, il l’a fait retravailler, tout en prodiguant ses conseils à David S. Khara, et ce fut le départ d’une bijouterie littéraire. Car Le Projet Bleiberg publié quelques mois plus tard par les éditions rennaises Critic fut reconnu unanimement par la critique, celle des lecteurs et des blogueurs. Michel Lafon a réédité en 2011 Les Vestiges de l’aube dans une version entièrement remaniée. C’est dire que ceux qui possèdent la première version de ce roman pourront relire ce roman en découvrant une nouvelle facette qui prolongera le plaisir qu’ils ont eu en découvrant l’original. Mais c'est la version Michel Lafon qui est rééditée chez 10/18. Chacun pourra préférer la première, comme moi, ou la seconde comme 10/18. C'est vous qui voyez !
Manhattan. Une série de meurtres y est perpétrée dans des appartements huppés et Barry Donovan, flic new-yorkais, se trouve en charge de cette affaire. Donovan, d’origine écossaise, flic parce que son père l’était, vit dans appartement luxueux qui donne sur l’ONU et l’Hudson River et hérité d’un oncle sans descendance. Il trimballe un passé douloureux, a suivi des séances de psychothérapie, et pour meubler ses temps libres il voyage sur le Web, s’étant inscrit dans des clubs de rencontre. La plupart du temps il est en communication avec des nymphomanes ou des personnages peu reluisants, mais les messages de Werner lui change son ordinaire. Ce correspondant s’exprime avec élégance, évoque de nombreux sujets sauf celui du sexe, et Barry peu à peu prend confiance et s’épanche sur son travail et la vague de meurtres.
Werner Von Lowinsky, ainsi se nomme ce correspondant, propose à Barry, lorsque celui-ci lui apprend qu’une treizième victime vient d’être découverte, de venir le rejoindre à Manhattan. En compagnie de son coéquipier Sanderson, Barry investigue l’appartement où a été découvert le corps, une première fois, puis le lendemain il revient approfondir ses recherches. Sanderson croit apercevoir sur la terrasse où gît le corps une sorte de brume diffuse, mais il n’en fait guère plus de cas. Enfin Werner et Barry font connaissance un soir dans un bar. Werner recherche l’obscurité pour une bonne raison : c’est un vampire, mais il prend soin de ne pas dévoiler cette particularité à Barry. Né au début du XIXème siècle de parents expatriés de la vieille Europe, une mère issue de la noblesse française, un père dignitaire prussien, Werner après avoir fréquenté l’école militaire de West-Point, s’était investi dans l’entreprise familiale : une usine d’armement. Et l’avait fait fructifier, tout un étant un pacifiste convaincu. Jusqu’à ce que la guerre de Sécession vienne perturber sa vie privée et professionnelle. Depuis il vit dans un bunker aménagé sous l’ancienne demeure familiale qui est devenue un musée dédié à la mémoire de Lincoln.
Ce n’est pas pour autant qu’il se soit coupé du monde. D’abord il lui faut bien se sustenter, même si ses besoins alimentaires sont restreints, et puis il s’intéresse à ce monde toujours en mutation. Il possède la télévision, il regarde des films, il a visionné Le Seigneur des anneaux plus d’une vingtaine de fois, et est un fervent admirateur de Sherlock Holmes et de Nero Wolfe. Il ne dédaigne pas à l’occasion pratiquer l’humour, noir, répondant à Barry, qui lui demande s’il saurait tenir sa langue, je suis une tombe. En épluchant les répertoires téléphoniques des précédentes victimes, Barry Donovan et Sanderson découvrent un numéro d’appel commun à tous ces hommes. Ce numéro correspond à celui d’une jeune femme qui exerce la profession, louable en soi, permettant à ses clients de s’épancher en organisant des soirées spéciales à leur intention. Parallèlement Werner ne chôme pas et il possède des moyens plus subtils que ceux des policiers pour approcher d’éventuels suspects et s’immiscer là où Barry ne peut le faire.
David S. Khara réussit à nous proposer une véritable enquête policière dont la résolution, crédible, ne doit rien à un quelconque artifice fantastique. Et les personnages principaux, qui possèdent tous les deux leurs fêlures que l’on découvre au fur et à mesure du récit et des confidences que se font les deux hommes, possèdent une véritable épaisseur. Le mythe du vampire a été exploité à moult reprises, mis à toutes les sauces, et pourtant David S. Khara parvient à le renouveler, à donner une dimension humaine à son vampire, à le rendre sympathique. Et habilement il nous transporte du Manhattan d’aujourd’hui avec ses blessures toujours présentes dans le cœur des New-yorkais après l’attentat des Twin-Towers, jusque dans les affres de la guerre de Sécession, qui a marqué un tournant dans l’histoire des Etats-Unis, mais continue de marquer les esprits.
La touche de fantastique n’est utilisée que dans quelques scènes, et n’empiète pas sur le récit, et de nombreux lecteurs qui n’apprécient pas forcément ce genre littéraire devraient aimer ce roman comme ils ont déjà dégusté Le projet Bleiberg et les suivants. David S. Khara s’affirme comme un auteur de tout premier plan, sachant se renouveler.
Dans mon précédent article consacré aux Vestiges de l’aube je terminai ma notule ainsi : DSK est désormais consacré membre à part entière du FMI (Forgeur de merveilleux et d’imaginaire). Il me semblait que c’était un gentil jeu de mot. Mais qui n'est plus aujourd'hui d'actualité, pour cause de débordements.
David S. KHARA : Les vestiges de l’aube. Editions 10/18. Collection Domaine Policier N° 4750. Réédition de la version Michel Lafon. Parution 6 novembre 2014. 264 pages. 7,50€.