Les points de convergence entre le roman d'amour et le roman policier sont plus nombreux que l'on pourrait croire : Amour, jalousie, haine, argent en sont les ressorts principaux.
Déjà je sens vos lèvres esquisser un sourire goguenard, dédaigneux, poindre dans votre regard une pointe de commisération et de condescendance. Pensez donc ! Un numéro du Rocambole consacré à Delly ! Quelle faute de goût ! Et pourtant cet auteur bicéphale - sous ce pseudo féminin se cachaient la sœur Marie (1875-1947) et le frère Frédéric (1876-1949) Petitjean de la Rosière - aura engrangé les succès de librairie en France et au Canada et les traductions en Italie, en Espagne et en Amérique latine, de 1903 jusqu’en 1984 par le biais des rééditions et d’inédits posthumes. Publiés en feuilletons dans des magazines essentiellement féminins comme Les Veillées des Chaumières (qui existent toujours !), L’Echo de Paris ou Le Petit écho de la Mode, ou à obédience catholique comme Le Pèlerin, La Croix illustrée, et par des quotidiens ou hebdomadaires régionaux tels que L’Ouest Eclair, ces romans ont été édités principalement par La Bonne Presse, Gautier-Languereau, Plon, Flammarion et surtout Tallandier.
Quatre-vingt-dix titres qui ne se contentent pas d’être écrits à l’eau de rose mais empruntent à quasiment tous les genres de la littérature populaire. Delly a entrouvert une porte par laquelle se sont engouffrés des auteurs tels que Max du Veuzit, Claude Fleurange (alias Marcel Priolet), Hélène Simart et bien d’autres qui firent carrière sous divers pseudonymes. Mais peu à peu s’effacèrent sous la production effrénée et foisonnante des éditions Harlequin et leurs différentes collections qui furent un tremplin pour des romancières aujourd’hui célèbres telles que Nora Roberts ou Janet Dailey.
A l’origine, comme nous le rappellent fort justement Angels Santa et Jean-Luc Buard, le roman « dellyen » était à ranger dans les catégories roman sentimental et roman catholique, des ouvrages destinés principalement aux jeunes filles avec deux buts avoués : la distraction et l’éducation. Deux étiquettes qui resteront accrochées à leurs jaquettes (je rappelle que Delly était double) alors que bien d’autres facettes furent explorées : romans d’aventures, policiers, exotiques, espionnage ou historique. Pourquoi avoir débuté dans le roman dit catholique, comment s’est effectuée cette bifurcation ? Quelles étaient les attributions de l’une et de l’autre dans la rédaction de leurs romans ? Les réponses à ces questions et à bien d’autres vous sont dévoilées dans ce copieux dossier qui fut élaboré par Ellen Constans. Elle n’aura pas eut le plaisir de voir cette parution, décédée entre temps. Un numéro consacré à un auteur cataloguée dans la catégorie sentimentale et qui bat en brèche bien des à-priori, des idées reçues et préconçues.
Mais le Rocambole propose aussi un article que je compulse toujours avec attention : Les Révélations du Rocambole, une chronique dirigée et alimentée par Claude Herbulot, Jean-Paul Gomel et Paul J. Hauswald. Dans ce numéro, un long chapitre intitulé 32 rue de Maubeuge, et consacré à André Guerber, éditeur commercial et ses nombreux avatars dans des maisons d’éditions qui s’enrichissaient selon ses intérêts dans les éditions pirates. Il toucha à tout, collections diverses, magazines, petites bandes dessinées souvent réservées aux adultes, changements de titres et de pseudonymes, un grenouillage qui dura près de quarante ans. Dans le même article, un autre chapitre qui nous renvoie plus ou moins au dossier principal de la revue : la collection Cristal chez Plon, qui connut 72 titres parus entre mai 1980 et juillet 1981. Une collection destinée à concurrencer Harlequin mais qui fit long feu. Pourtant parmi ses auteurs, de grands noms de la littérature populaire (et policière) qui se cachaient derrière un alias souvent féminin. Je me contenterai de signaler que des auteurs comme Françoise d’Eaubonne, qui avait déjà signé quelques romans pour les collections Grands Romans et Présence des Femmes sous le pseudo de Nadine de Longueval, mais aussi Jean-Baptiste Baronian, Gérald Moreau, Frédéric Charpier et quelques autres dont je vous laisse découvrir les noms d’emprunt.
Jean-Pierre Galvan nous propose sa revue des autographes, avec des extraits de lettres ou des lettres entières signées Alexandre Dumas, Maurice Leblanc, Gaston Leroux, Boris Vian, Gustave Aimard ou Xavier de Montépin. Sans oublier les addenda de Patrick Ramseyer et autres informations capitales pour les amateurs de littérature populaire.
Mais ce numéro ne pouvait se clore sans une nouvelle, La Ronde sous les eaux, signé M. Delly, premier pseudonyme qui se réduisit en Delly tout court par la suite. Une nouvelle datée de 1895 et demeurée inédite jusqu’à cette parution.
Le Rocambole, la revue de référence pour tout amateur de littérature populaire.
Revue ROCAMBOLE n° 55/56 : L’œuvre de Delly. Parution Juin 2011. 352 pages. 27,00€.