Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
16 mars 2016 3 16 /03 /mars /2016 10:21

Et il y a de quoi !

Jean-Paul NOZIERE : Maman, j'ai peur.

Les vacances en compagnie des parents, très peu pour Grégoire. Il a assez suivi ses géniteurs durant leurs déplacements estivaux pour aspirer à un peu de liberté, d'air frais, même en ce chaud mois de juillet.

Seulement ce qu'il n'avait pas prévu dans sa petite tête d'adolescent de seize ans, c'est qu'il ne verra pas Julia comme il l'escomptait. Il se faisait une fête de la revoir et patatras, elle doit accompagner ses parents en Toscane. La tuile.

Alors, faut bien l'avouer, il commence à s'ennuyer ferme dans la petite station thermale de Boriro-les-Bains. Bien sûr il peut se rendre à Dijon, en compagnie de sa sœur qui est tout juste majeure et possède son permis de conduire, mais cela ne remplace pas la présence tant souhaitée de Julia. Il est tellement malheureux que lorsqu'il aperçoit Tintin, son ami âgé de vingt-deux ans en train de vaquer à des occupations qui lui sont chères, il préfère l'éviter.

Avant de suivre Grégoire jusque chez lui, et assister à un épisode qui va marquer ses vacances et sa vie, penchons-nous sur le cas de Tintin. Car le jeune homme est un cas. Vingt-deux ans, ancien gendarme, il n'aura effectué que six mois de présence chez les représentants des forces de l'ordre pour intempérance. Il soigne sa dipsomanie à Boriro-les-Bains, station thermale spécialisée dans toutes sortes d'affections et généralement réservée aux représentants du quatrième, voir cinquième âge. Et pour passer le temps, Tintin découpe dans les journaux nationaux et régionaux les articles consacrés aux faits-divers, articles qu'il collationne précieusement dans des classeurs.

Pendant ce temps, Grégoire est parvenu en vue de la maison de ses parents. Les vitres d'une fenêtre ont été brisées pourtant il ne règne aucun désordre dans les pièces du bas. A l'étage, dans la chambre de ses parents, s'étale un déballage de fringues, pis que dans un vide-grenier. Cela le laisse coi, et s'avançant il entrevoit une gamine tentant de se cacher derrière l'amas de vêtements.

Elle s'exprime dans un sabir dans lequel surnagent quelques mots de français. Elle a réalisé le désastre seule, a quatorze ans et s'appelle Anca Marcovic. Et elle profite d'un moment d'inattention de Grégoire pour s'enfuir.

Envolée, Julia. Enfouie dans les limbes de la mémoire, Julia. Effacée d'un coup de gomme amoureux, Julia. Car oui, Grégoire est tombé amoureux de la petite voleuse. Il sait que ces filles sont des esclaves du vol, exploitées par des individus peu scrupuleux, en provenance de l'Est et plus particulièrement de Roumanie, mais il ne pensait pas que l'une d'elle se serait perdue dans la région. Et que les quatorze ans annoncés comportent sûrement quelques mois supplémentaires.

Il faut d'abord ranger les affaires dans les penderies, et constater qu'Anca, si elle se prénomme bien ainsi, n'a rien volé, n'en a pas eu le temps. Donc inutile de prévenir les gendarmes. Et les parents non plus, superflu de leur annoncer ce qu'il s'est déroulé durant leur absence et de gâcher leur voyage en Irlande.

Il convainc sa sœur Eloïse de l'aider dans sa démarche, c'est-à-dire de retrouver Anca, et demande de même à Tintin de l'aider. Un ancien gendarme, ça peut avoir des relations, même s'il n'a que six mois d'expérience et est sur la touche.

 

Une enquête qui peut s'avérer dangereuse, Grégoire et ses complices vont bientôt s'en apercevoir. Mais cela permet aussi à Grégoire de cerner le problème, le secret de Tintin. Quant à Eloïse, si elle accepte, elle veut toutefois garder une marge de manœuvre et de liberté afin de consacrer un peu de son temps à son petit copain. La vie privée doit être respectée, il n'y a pas de raison. Mais le principal est bien de retrouver Anca, de l'aider à s'affranchir de la tutelle d'individus qui profitent de certaines situations, ou les provoquent, afin de se constituer un magot conséquent sur les dos de gamins perdus affectivement et socialement.

 

Parallèlement à cette intrigue, nous suivons le parcours de Téréza Marcovic. Marcovic, c'est ce qu'elle doit dire aux policiers si elle se fait arrêter. Et tricher sur son âge également.

Téréza écrit son parcours, depuis sa naissance, ou ce qu'elle en sait, près de ses parents, de sa famille, comment elle a été amenée à quitter son village natal, Mitru au sud de la Roumanie, à venir en France dans la voiture d'un passeur, et ses différentes pérégrinations et mésaventures. Tout ça parce que sa famille croule sous les dettes d'usuriers qui méprisent les gitans, les tziganes, même dans leur propre pays.

 

Ancré dans un paysage social qui n'est pas sans rappeler un épisode qui s'est déroulé il y a quelques années dans le Sud de la France, le réseau Hamidovic pour ne pas le citer, Maman, j'ai peur s'adresse en principe aux adolescents. Mais il s'agit bien de montrer la réalité sous ses angles les plus noirs, tout en gardant cette part d'humanisme qui devrait toujours guider la vie de tout un chacun. Ne pas porter de jugements hâtifs, ne pas se laisser aller à des préjugés engendrés et colportés par des adultes qui eux-mêmes forgent leurs opinions sur des faits relatés sans véritable profondeur d'analyse, et souvent avec une bonne dose de suppositions non avérées.

Ce roman garde une grande part d'innocence propre aux enfants, aussi bien ceux qui sont les bannis de la vie que ceux qui n'ont rien à demander parce qu'ils ont tout, amour, tendresse et confort matériel. Une opposition entre deux mondes narrée avec pudeur par Jean-Paul Nozière qui explore avec justesse et force l'univers des enfants dans le monde pervers des adultes.

 

Jean-Paul NOZIERE : Maman, j'ai peur. Editions Thierry Magnier. Parution 10 février 2016. 272 pages. 14,50€ version papier. 10,99€ version numérique.

Partager cet article
Repost0
15 mars 2016 2 15 /03 /mars /2016 10:41
Orages, oh des espoirs !
Michel PAGEL : Orages en terre de France.

Et si la révolution de 1789 avait avorté, les guides de la France étant tenues par l’église et les représentants de la religion Catholique ?

Et si la Guerre de Cent ans n’avait jamais cesser d’exister, l’antagonisme franco-britannique perdurant depuis l’an mil ?

Extrapolant sur ces deux hypothèses, Michel Pagel narre quatre pages d’histoire, imaginant notre pays, de l’an de grâce 1991 à l’an de grâce 1995, sous la domination d’évêques, d’archevêques prenant leurs ordres et leurs consignes auprès du Vatican.

Le Roi de France, régnant dans un régime constitutionnel, fait figure de pantin. Les provinces, toujours divisées en comtés, passent successivement de la domination anglaise à l’occupation française, et vice-versa, ce qui engendre moult conflits permanents entre parents et enfants. Selon leur lieu de naissance, sol annexé par l’un ou l’autre de ces deux pays, ils vivent, réagissent en opprimés, en révoltés ou, au contraire, se conduisent en loyalistes.

Les séquelles de l’Inquisition exercent leur oppression sur la population, constituant dans certains domaines scientifiques un frein puissant. L’obscurantisme est lié à de nombreux préceptes et l’application à la lettre des commandements de Dieu, et leur déviance inéluctable, empêchent le développement des moyens de communication. “ Tu ne voleras point ” prends une signification absurde jusqu’au jour où la science est reconnue comme un progrès vital pour les belligérants.

Dans d’autres domaines, au contraire, la technologie est performante et toujours profitable aux stratégies militaires.

 

Dans ce recueil de quatre nouvelles uchroniques se déroulant dans le Comté de Toulouse, le Comté du Bas-Poitou, l’Île de France et le Comté d’Anjou, le fil conducteur est issu d’une rivalité toujours latente, d’une rancune tenace : Jeanne d’Arc et Napoléon servent de référence encore aujourd’hui dans nos récriminations quotidiennes et épidermiques.

Ce roman est la réédition d’un ouvrage paru en 1991 dans la défunte collection Anticipation du Fleuve Noir sous le numéro 1851, version revue et corrigée en 1998 dans la collection SF métal.

Ce qui à l’époque pouvait passer pour d’aimables fabliaux prend aujourd’hui une consistance nouvelle, alors que l’on nous parle de plus en plus d’intégration, de droit du sang et droit du sol, de sans-papiers, d’identité nationale et tout le tintouin.

Michel Pagel qui alterne romans humoristiques et récits plus sérieux, plus graves dans la teneur et le propos, possède plusieurs cordes à son arc. Il construit petit à petit une œuvre solide, et s’inscrit, non seulement comme une valeur sûre de la jeune S.F. française (à l'époque de la première édition de ce roman) mais comme un romancier tout court.

Première édition Collection Anticipation N°1851. Parution décembre 1991.

Première édition Collection Anticipation N°1851. Parution décembre 1991.

Réédition Collection S.F. métal, N°48. Fleuve Noir. Parution mars 1998.

Réédition Collection S.F. métal, N°48. Fleuve Noir. Parution mars 1998.

Michel PAGEL : Orages en terre de France. Réédition version numérique. Editions Les moutons électriques. Parution le 5 septembre 2014. 6,99€.

Partager cet article
Repost0
12 mars 2016 6 12 /03 /mars /2016 14:06

Et les apparences ne sont pas des appas rances...

Roland SADAUNE : Apparences.

Résider dans une tour de dix-huit étages, n'est pas rédhibitoire. A condition d'être jeune, alerte et d'habiter au premier.

Mais pour l'homme qui se déplace avec difficulté, cela devient plus problématique. Un bruit obsédant l'agace, comme un bruit de crécelle, il sait d'où cela provient, mais il y remédiera plus tard. Peut-être.

Pour l'heure, il vaque à ses petites affaires, sacrifiant à sa passion. La vaisselle une fois de plus est reportée au lendemain, il doit s'atteler à autre chose.

Une revue dont il a marqué la page, une photo de jeune femme, belle comme toutes les jeunes femmes qui figurent sur ce genre de magazine. Bien mieux que Sandra, mais Sandra c'était sa femme, morte dans un accident dont il a réchappé. Il ne s'en remet pas.

Alors il découpe les photos des magazines, photos glacées comme les femmes qui sont dessus, malgré leur galbe et leur sourire.

Alors il les découpe, pas les femmes mais les photos, puis les attache avec un morceau de scotch sur le mur près de son lit. Une véritable collection de portraits. Une exposition de mannequins, des top-modèles... Puis il prend un feutre...

 

Pendant ce temps, un dingue, selon la terminologie de Delmes, le rédacteur en chef du magazine Réalité, se paie le luxe de trucider des jeunes femmes, cinq déjà, des répliques, des sosies des modèles d'une maison de couture. Toutes égorgées dans un périmètre d'un kilomètre autour de la Porte de Clichy. La sixième vient d'être découverte. Delmes est venu sur place, prendre une bouffée d'atmosphère, en compagnie de Lou Rascal, sa jeune collaboratrice photographe. Et Lou se pose des questions. Après tout elle est journaliste, et un journaliste se doit d'être curieux.

 

Une nouvelle intimiste qui permet à Roland Sadaune de mettre en scène la solitude d'un veuf qui n'a plus que ses souvenirs pour vivre, et les illusions cinématographiques pour combler une absence. Celle d'une femme, celle de Sandra.

Un texte tout en pudeur, parfois en non-dits, qui joue sur les contrastes, et laisse le lecteur évasif, s'imaginant les quelques scènes tournées comme un court-métrage.

Mais tout est en trompe-l'œil, c'est la force du peintre qu'est Roland Sadaune de pouvoir jouer ainsi avec ses personnages, jouer sur les situations, sur les apparences. Des détails s'échappent, mis en valeur dans un flou ambiant, des touches de couleurs, du rouge, du noir et surtout du blond.

Roland SADAUNE : Apparences. Nouvelle numérique. Collection Noirceur Sœur. Editions SKA. 1,49€.

Partager cet article
Repost0
10 mars 2016 4 10 /03 /mars /2016 10:26

Une façon comme une autre de faire carrière...

Elena PIACENTINI : Carrières noires.

Les anciennes carrières de craie de Lezennes forment un véritable labyrinthe dans lequel l’homme se déplace avec assurance. Certaines galeries portent un nom comme la galerie Sans-Souci, d’autres n’ont pas été répertoriées, oubliées par la mémoire collective.

Il les parcourt depuis sa plus jeune enfance, et il a tendu des cordes, véritable fil d’Ariane qui le conduisent avec sûreté là où il le désire. A l’âge de treize ans, le 13 août 1967, en conflit avec sa mère depuis des années, il a commencé à rédiger son journal. Depuis il en a noirci une bonne vingtaine et a nommé son domaine Invictus.

Joséphine Flament, dite Josy pour tous donc pour nous aussi, approche de la soixantaine. Elle est restée célibataire par choix, habite la petite maison héritée de ses parents, et vit chichement en effectuant des ménages par ci par là. Elle a recueilli ses amies d’enfance, Chantal et Marie-Claude, qui ont goûté aux joies du mariage, joies accompagnées de coups à l’âme et au corps pour l’une, d’infidélités pour l’autre. Alors elles ont abandonné leurs conjoints respectifs et depuis toutes trois demeurent ensemble, dans une harmonie sans faille.

Elles sont même allées en vacances à La Panne, une station balnéaire belge et elles en sont revenues émerveillées, avec l’espoir d’acquérir une petite résidence secondaire qui leur permettrait de s’évader de temps à autre. Seul problème, mais d’importance, les fonds dont elles disposent ne pourraient leur permettre que d’acheter un mur, et encore.

Le hasard parfois réserve de bonnes surprises. Ainsi, employée quelques heures par semaines chez une vieille dame, Josy a trouvé dans le dressing (armoire-penderie en français, je traduis) de l’entrée, des billets pour un montant de dix mille euros. Elle les rend à sa patronne, mais l’idée germe en elle de visiter le coffre-fort de la vieille dame en demandant l’aide de son ami Angelo, spécialiste en braquages. Et comme il vaut mieux battre le fer, en l’occurrence l’argent, pendant qu’il est encore chaud, le coffre-fort est forcé, et son contenu emmené. Des bijoux dont elles ne peuvent se débarrasser car trop voyants, des documents à étudier et un peu d’argent.

Justine Maes, quatre-vingt quatre printemps, sénatrice, ancienne résistante, envisage un avenir prometteur à son neveu Norbert Fauvarque, député-maire de son état et séduisant quadragénaire. Elle lui a prédit qu’il pourrait accéder aux plus hautes marches de l’Elysée avec un peu de travail et ses très nombreuses relations, hommes politiques ou personnes influentes. Elle lui avait déclaré alors qu’il était encore jeune :

Tu vas commencer par réussir le concours de l’ENA. Nous avons le temps de décider quel parti correspond le mieux à ton tempérament. Quel que soit celui que tu choisiras, garde en mémoire que tes ennemis les plus dangereux seront dans ton propre camp.

Un carnet d’adresses bien fourni, un portefeuille bien rempli, un homme de main, un factotum, fidèle, René Laforge, au regard de fouine, tout concourt pour qu’elle vive encore de nombreuses années.

Le commandant Pierre-Arsène Leoni, ou plutôt l’ex-commandant car suite à la mort brutale de sa femme il a préféré se mettre en disponibilité et rejoindre sa Corse natale, le commandant Leoni donc est de retour à Lille afin de régler des affaires familiales mais également sous l’impulsion d’Eliane Ducatel, médecin légiste et accessoirement son amie. Les hommes composant son ancienne équipe, le sachant devant sa maison qui est promise à la démolition le rejoignent. Ils se plaignent de leur nouveau commandant, Vidal, un fonctionnaire borné plus qu’un homme de terrain.

En compagnie d’Eliane et de son neveu Baptiste atteint d’une forme rare d’autisme, Leoni va assister à un concert que l’adolescent doit donner dans une maison de retraite. Mais la propriétaire de la résidence pour seniors (ou personnes âgées, c’est comme vous voulez, moi cela ne me gêne pas) est en retard. Une habitude mais ce soir là, l’attente est un peu longue. Alors Eliane et Leoni décident de se rendre chez la vieille dame, dont la demeure se dresse à une cinquantaine de mètres de là, pour découvrir un cadavre. Celui de Justine Maes, la sénatrice. Un accident cardiaque selon toutes vraisemblances, mais Eliane qui connait son métier prétend qu’une autopsie devrait être réalisée. Ce qui n’est pas du goût de Vidal qui n’apprécie pas qu’on empiète sur ses plates-bandes.

Et puis à quoi correspond ce coup de téléphone émanant d’une personne qui aimerait échanger des documents contre une forte rançon ? Et pourquoi enquêter sur la mort d’une sénatrice octogénaire alors que deux enfants ont disparu ?

 

Tous ces personnages sont comme les membres, jusqu’aux doigts et aux orteils, et la tête d’une marionnette dont les fils seraient attachés aux mains d’Elena Piacentini. Elle les fait évoluer, remuer, se secouer, brasser de l’air, gigoter, danser, avec dextérité, virtuosité et souplesse. Au début le lecteur n’aperçoit qu’une partie du corps, puis une autre, encore une, et peu à peu tout est relié, prend forme et le spectacle peut commencer. Mais il ne faut pas croire que ce pantin est squelettique, étique, hâve. Au contraire, nous sommes en présence d’un être charnu, polychrome, à l’humeur changeante, virevoltant, nous adressant même quelques clins d’œil.

Elena Piacentini nous fait visiter les galeries souterraines d’une ancienne carrière de craie qui circulent sous Lezenne, et dont certaines cheminées sont reliées aux caves des maisons. Elle nous emmène également sur les berges du Lac bleu, mais il ne s’agit pas d’établir un documentaire. Elle s’en sert comme décor pour certaines scènes, en instillant un sentiment d’inquiétude propice à tenir le lecteur en haleine et le faire frissonner. Si les carrières sont plongées dans le noir presque absolu, en surface, c’est la pénombre qui entoure crimes et méfaits. Elena Piacentini offre parfois un lumignon afin d’éclairer quelques événements, mais la lueur est rapidement écartée au profit d’un autre épisode tout aussi sombre. Jusqu’à ce qu’enfin, le lecteur débouche du tunnel, ébloui.

Et la morale là dedans me demanderez-vous avec justesse. Ne vous inquiétez pas, l’ex commandant Leoni s’arrangera avec elle le moment venu, tout comme il s’aménage une porte de sortie avec Eliane Ducatel. Mais chut, nous entrons dans le domaine privé.

C’est le premier roman d’Elena Piacentini que je lis. J’avais lu ici et là des échos élogieux à propos de ses précédents ouvrages, et maintenant je peux confirmer, Elena Piacentini a tout d’une grande.

Première édition : Au-delà du raisonnable. Parution 8 mai 2012. 368 pages. 18,50€.

Première édition : Au-delà du raisonnable. Parution 8 mai 2012. 368 pages. 18,50€.

Elena PIACENTINI : Carrières noires. Réédition Pocket. Parution le 10 mars 2016. 384 pages. 5,95€.

Il existe même une version numérique à 6,99€.

Partager cet article
Repost0
9 mars 2016 3 09 /03 /mars /2016 15:54

Une symphonie pastorale...

Gilles BORNAIS : Une nuit d'orage.

Après avoir remonté le Loir une grande partie de la journée à bord de sa barque, Manuel amarre son rafiot à un saule, puis étendu sur l'herbe, il se repose.

Il doit se rendre à Jeufosse, avec en poche des noms d'agriculteurs susceptibles de l'embaucher. Il préfère Jeufosse qu'à Chateaulune, distant d'une dizaine de kilomètres, car il se demande comment on va l'accueillir dans ce patelin. Près d'un quart de siècle s'est écoulé depuis l'incident qui a coûté la vie à un homme mais il sait que la mémoire humaine est toujours vive, surtout après un tel drame.

Une banale bagarre dans un café, lors d'une belote, et les témoins étaient nombreux. Pourtant ils n'ont pu voir qu'une partie de ce pugilat qui n'en fut pas un.

Coiffé d'un vieux feutre, vêtu d'habits informes, portant une grosse valise, Manuel part vers la route. Au loin un chien aboie. Manuel trébuche et se blesse au mollet. Du sang rougit son pantalon défraîchi. Il traîne la jambe, et son lourd bagage. Une ferme se profile, il toque au portail. Seul un chien lui répond. Enfin une fermière lui conseille d'entrer. Paule soigne le blessé, et lui propose de rester le temps qu'il faut pour se remettre de ses émotions et de sa blessure.

Roland Dotelar, le mari de Paule, propose à Manuel de l'embaucher comme saisonnier. Malgré les deux ouvriers qui vaquent aux champs, il y a bien du travail pour deux mains supplémentaires. Manuel accepte, le couvert et le gîte sont assurés, et il aura même un petit pécule hebdomadaire.

Il possède un gramophone récupéré dans une décharge, et le soir dans sa chambrette il veut écouter ses 78 tours, et même de vieux 90 tours. Mais l'appareil n'en fait qu'à sa tête. Alors lors de ses temps libres, Manuel se rend à Chateaulune, emmené dans la carriole de Roland ou dans la 4L. Il demande à un réparateur mono-stéréo s'il peut remettre son tourne-disque en état de fonctionner, mais l'homme veut voir l'appareil. Manuel se rend également chez un marchand d'articles de pêche. Le commerçant, qui pense peut-être être en face d'un débutant lui propose toutes sortes de cannes, de fil et d'hameçons, d'appâts, rien ni fait, Manuel tient bon, il veut ça et pas autre chose.

Il entre aussi dans le bar des Legris, là où s'est déroulé l'incident. Personne n'en parle plus, personne ne le reconnait, ce qui l'arrange.

Un conflit avait opposé deux hommes, l'un d'eux était tombé, mort. Les versions divergent, presque tous les témoins qui n'ont rien vu ont parlé à l'époque d'une agression. Il est vrai que la scène, dite de crime, était éloquente. Une chaise cassée, un crâne enfoncé... Il n'en faut pas plus pour que les rumeurs, les ragots, les J'ai rien vu mais je dirais tout, amplifie l'affaire. Et Petit-Père est traîné en justice, condamné à trente ans de prison.

Les semaines passent, et Manuel se rend à la prison, attendre la sortie de Petit-Père.

Le vieil homme a appris lors de son incarcération le métier d'imprimeur. Il trouve du travail mais hélas, lorsque les ouvriers découvrent son passé, il est prié de prendre la porte. Alors Manuel demande à Paule et Roland s'ils n'auraient pas besoin de mains supplémentaires. Petit-père s'est découvert en prison une passion, la peinture.

 

Cette histoire se déroule en 1962, mais si les conditions de travail dans une ferme ont nettement évolué, les mentalités sont toujours les mêmes, dans ces petites bourgades où tout le monde se connait, ou presque, et où le moindre fait est monté en épingle. Le dénouement se produit un soir d'orage, alors que Manuel a "emprunté" une voiture, afin de pouvoir rendre service à Petit-Père. Mais les éléments sont contraires et tout va se déchaîner sous la pluie, le tonnerre, les éclairs. Le lecteur peut assister à une longue scène épique, digne d'un film en noir et blanc, qui pourrait emprunter à Clochemerle, mais en moins humoristique même si certains passages peuvent faire sourire.

En effet, Manuel est un peu naïf dans son comportement, ses aspirations, mais les citoyens de Chateaulune se montrent obtus, sûrs d'eux et de leur bon droit, affirmant sans savoir, interprétant les faits de façon erronée, surenchérissant dans le délire verbal, ancrés dans leurs préjugés.

Gilles Bornais dresse un portrait de ce village, de ses habitants, et des protagonistes, avec justesse, même s'il amplifie leurs défauts, pour les uns, leurs qualités pour les autres, et leurs réactions.

C'est également une ode à la campagne, au travail de la ferme au début des années 1960, alors qu'il ne fallait rien perdre, et qu'un grain de blé était un grain de blé. Le gâchis n'existait pas. C'était le temps des plaisirs simples, la pêche, la peinture, et Gilles Bornais nous brosse de bien belles pages, loin de la fureur moderne. Mais tout a une fin, et malgré l'affirmation de Shakespeare, que tout est bien qui finit bien, parfois il existe des entorses.

Un roman qui oscille entre le blanc et le noir, un roman gris teinté de vert, une réussite tout en nuances.

 

Gilles BORNAIS : Une nuit d'orage. Editions Fayard. Parution le 2 mars 2016. 240 pages. 18,00€.

Partager cet article
Repost0
8 mars 2016 2 08 /03 /mars /2016 14:17

Ne sont pas forcément des chercheurs d'or !

Patrick ERIS : Ceux qui grattent la terre.

Pour obtenir un emploi, que faut-il ? Un curriculum vitae en béton ? De l'expérience ? De la hardiesse ? De la chance ?

Surtout de la chance, car pour Karin Frémont, ce n'était pas gagné d'avance. Depuis deux ans qu'elle est demandeuse d'emploi, à vingt-quatre ans, elle commençait à désespérer. Et puis voilà, la secrétaire du riche et énigmatique Harald Schöringen, auteur à succès, lui confirme qu'elle va bientôt lui céder sa place, aspirant à une nouvelle vie, voire un mariage, ou quelque chose comme ça, tout au moins retrouver sa terre natale, la Grande Bretagne. Le fait que Karin porte un prénom à consonance germanique a peut-être été décisif.

Quoi qu'il en soit, la voici apte à devenir la secrétaire de Schöringen, spécialiste du surnaturel, ou encore à l'instar des critiques qui aiment les superlatifs : le Sherlock Holmes du fantastique, le Sulitzer du sensationnel, le Pourfendeur de spectres, en un mot un énigmologue. Il est un véritable phénomène de librairie et pourtant ses œuvres ne sont pas des romans, mais des essais, des études, des documents... Et comme elle possède une licence d'histoire, ce qui l'a amplement servie pour postuler chez Paul Emploi, Karin est plongée dans un domaine qu'elle connait bien, la recherche dans les vieux papiers et les articles journalistiques.

A priori, le travail que va effectuer Karin n'est guère contraignant. Du classement d'articles selon un processus bien défini, plus d'autres bricoles qui sont dans ses cordes. Par exemple aller acheter une pizza chez le restaurateur du coin, lorsque Farida, la femme de ménage est absente et ne peut faire la cuisine. C'est donc sans regret qu'elle quitte Paul Emploi.

Seulement, tout comme Barbe-Bleue, Schöringer interdit à Karin d'entrer dans son antre, son inner sanctum, une pièce dans laquelle il se calfeutre, un appartement dans le vaste appartement situé tout près de la basilique meringuée de Montmartre. Pour correspondre avec son employeur, elle se sert de l'interphone placé à l'entrée de l'inner sanctum, ou par messages via le système intranet de l'appartement. Rarement elle est admise à franchir l'huis de cet antre. Elle est alors face à un homme se déplaçant en fauteuil roulant, aux larges épaules.

Karin est toute contente de pouvoir enfin approvisionner son compte en banque. Elle ne possède comme amis que Josiane, connue lors de son adolescence, et Julien qui sillonne la France en tant que représentant, qu'elle rencontre de temps à autre.

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si la nuit, ses rêves n'étaient peuplés de visions macabres. Un homme noir, des murs de ténèbres, et autres cauchemars macabres. D'ailleurs cet homme noir il lui semble bien l'avoir entraperçu un jour en montant l'escalier pour rejoindre l'appartement.

Ce qu'elle ignore, elle aurait dû lire le roman car le lecteur lui est au courant, c'est que la bignole est en proie à ce genre de cauchemars, et qu'elle entend la nuit, quand elle est éveillée, des scriiitch... scriiitch... propices à engendrer des cauchemars.

Un beau matin, qui n'est pas si beau que ça d'ailleurs, Karin se réveille après avoir subi une fois de plus les assauts des murs de ténèbres et de l'homme noir. Près d'elle git un cadavre, un sexagénaire qui habite l'immeuble. Or un an plus tôt un homme avait disparu sans laisser de traces...

 

Nimbé d'une aura fantastique, ce roman emprunte à certaines légendes dont celle de l'homme noir. Pour autant il s'agit d'une œuvre bien personnelle que nous offre Patrick Eris, car bien avant le fantastique, c'est l'angoisse latente, qui prend peu à peu des dimensions tragiques, qui imprègne cette histoire.

Une intrigue qui se divise en deux parties, la première parisienne, qui mène Karin de son embauche jusqu'à ce matin de terreur, puis la seconde qui se déroule en province, Schrödinger ayant décidé de s'installer dans une demeure propice à continuer ses recherches et l'écriture de ses manuscrits loin de l'agitation parisienne. Mais pour cela Karin doit découvrir l'habitation adéquate dans laquelle il pourra recréer à l'identique son inner sanctum, lieu auquel il tient tant.

Un ouvrage à placer entre des romans de Georges-Jean Arnaud et ceux de Serge Brussolo, en phase avec ces thèmes de l'homme noir et de la maison-piège, non loin de romans signés Marcel Aymé, comme Le Passe-Muraille et Alexandre Dumas, pour leur côté fantastique diffus, Les Mille et uns fantômes ou Le château d'Eppstein, par exemple.

Lentement l'angoisse monte, progressivement l'épouvante étreint l'héroïne principale, tout doucement l'univers dans lequel elle est plongée se délite. Patrick Eris sait évoquer les frayeurs cachées, les mettre en scène, sans jouer sur le grandiloquent, le sensationnel.

Ce qui n'empêche pas Patrick Eris de jouer avec l'actualité et certains personnages réels. Schöringen a l'habitude de réunir un petit comité d'amis choisis, d'écrivains et de chroniqueurs, afin de dîner ensemble et passer la soirée. Mais :

Tu sais, si tu t'attendais à voir du people, tu vas être déçue ! Même ces deux frangins bizarres dont on parle à la télé, eh bien, ils ne sont jamais venus ! Schöringen les déteste.

Lorsque les fous sont plus nombreux que les gens sains d'esprit, n'est-ce pas ces derniers que l'on fait enfermer ?

Patrick ERIS : Ceux qui grattent la terre. Collection Sentiers obscurs. Editions du Riez. Parution 9 février 2016. 308 pages. 16,90€.

Partager cet article
Repost0
7 mars 2016 1 07 /03 /mars /2016 11:14

Je vous ai apporté des bonbons...

SAN-ANTONIO : Des dragées sans baptême.

Le commissaire San-Antonio n'en revient pas. Son collègue aux Services Spéciaux est un traître. Et le Vieux, qui parfois cultive les idées spéciales, signifie à San-Antonio que le meilleur moyen de se débarrasser d'un mouton noir, d'une brebis galeuse, d'un ovin non ovni, est justement de s'en débarrasser. Et le seul qui serait apte à le faire n'est autre que notre commissaire.

Le tout en douceur, sans que les autres, les commanditaires de Wolf, ce loup dans la bergerie, se doute de quoique que ce soit. Le Vieux est persuasif : Il a une façon de présenter les choses qui rendrait baba un ministres des Affaires Etrangères.

Pour accomplir sa mission à bien, San-A rencontre Nez-Creux, un ancien jockey reconvertit dans la brocante et le transport de revues dites porno en Belgique. Il lui achète une arme à feu et lui conseille de se rendre de l'autre côté de la frontière. Ce n'est qu'une mise en scène afin de pouvoir faire arraisonner Nez-Creux à la Gare du Nord et assurer ses arrières.

Puis San-A avance ses pions téléphonant au Vieux afin de lui envoyer un homme pour l'aider dans une démarche. Comme convenu c'est Wolf qui est désigné et en l'attendant il s'enfile au bar, d'où il a passé son coup de fil, sept petits verres, pas moins. San-A fait croire à Wolf qu'ils vont appréhender Nez-Creux et l'emmène dans un hangar, un véritable guet-apens. Il tire sur Wolf, le blesse mortellement. Son ancien coéquipier a le temps, avant d'expirer, de souffler : demain, on va tuer... Orsay...

Un boulot d'effectué, un autre se profile. Et celui-là s'avère nettement plus compliqué et mettant en cause des personnalités politiques étrangères. Car une réunion au sommet entre les quatre grands et leurs représentants doit avoir lieu au Quai d'Orsay. Et une statue, le buste de Montesquieu, pourrait en être le déclencheur. Il ne reste plus à San-A qui n'a pas peur de se fourvoyer dans les pires situations et ne ménageant pas les coups durs, de se lancer dans la bagarre, avec l'aval du Vieux évidemment. Il n'a que vingt-quatre heures pour élucider cette enquête.

 

Ce roman est le cinquième San-Antonio paru dans la collection Spécial Police du Fleuve Noir et l'on sent toujours de la retenue dans l'écriture de la part de Frédéric Dard. De l'humour certes, de l'ironie, des scènes amusantes, un peu d'argot bon enfant, mais pas ce qui deviendra par la suite une succession de situations cocasses, de jeux de mots, de clins d'œil et de notes en bas de page qui seront une forme de complicité, de connivence certaine avec le lecteur. Le tandem Bérurier Pinaud n'est pas encore présent.

Entre roman policier et contre-espionnage, ce roman s'inscrit dans une veine classique avec toutefois ce petit quelques chose qui promet de grandes envolées lyriques et parfois pessimistes. Les métaphores amusantes sont nombreuses donnant un ton particulier qui sera exploité jusqu'à plus soif.

Le commissaire San-Antonio est un homme comme les autres, ceux des années cinquante. Il ne rechigne pas devant un verre de Beaujolais, quelques fines, même dans la matinée, des verres de vin blanc, et autres liquides susceptibles de caler son estomac et huiler l'engrenage de ses neurones.

Déjà il est intéressé par des rapports féminin-masculin, mais la description de ces relations et liaisons, à même une table, ne tombe pas dans la description évocatrice de ses aventures postérieures.

Toutefois on découvre un San-Antonio méconnu, un homme qui doit faire front et n'a pas de veine. Sans être jugulaire jugulaire, il doit se défendre bec et ongle envers un adversaire coriace. Et le meilleur moyen pour lui faire lâcher prise est de le mordre au cou tel un vampire.

 

Curiosité : A noter que la version numérique est plus chère que la réédition. On n'arrête pas le progrès !

Première édition : collection Spécial Police N°38. 1953.

Première édition : collection Spécial Police N°38. 1953.

SAN-ANTONIO : Des dragées sans baptême.

SAN-ANTONIO : Des dragées sans baptême. Editions Pocket. Parution 26 novembre 2015. 256 pages. 6,30€. Version numérique 6,49€.

Partager cet article
Repost0
4 mars 2016 5 04 /03 /mars /2016 15:37

Et je dirais même plus : sur la côte d'eau pâle !

Jean-Christophe MACQUET : Un Américain sur la Côte d'Opale.

Tout ça parce qu'un ingénieur hydrographe s'est trompé dans ses calculs !

En effet Boivin, l'ingénieur en question, a ordonné le second forage afin de découvrir la source des eaux du bois de Rombly, propriété de la société d'exploitation de l'eau de source Valroy, mais en vain. Ce n'était pas au bon endroit. Et bien évidemment le directeur n'est pas satisfait de son travail. L'augmentation espérée, Boivin gagne bien sa vie mais sa femme dépense plus vite qu'il engrange, ne lui est plus accordée.

Les ouvriers sont arrivés à des bandes de sable, mais surtout, dessous, ils ont mis à jour des ossements. Humains les ossements, et celui qui prétend que l'os ment, il se trompe. Plus étonnant, ils ont remonté à la surface une espèce de plastron, un pectoral forgé dans une matière qui, nettoyée, pourrait être de l'or. Boivin décide de s'accaparer cette relique afin de la vendre, associé à un historien local qui pense en connaître ou au moins en déterminer la provenance.

Dans le milieu du XVIIe siècle, un cataclysme a ravagé les Côtes d'Opale, l'ancien village de Rombly se trouvant enfoui sous les sables amenés par un énorme mascaret.

Boivin, malgré son statut d'ingénieur, n'est guère futé. il aurait dû se douter que son geste ne passerait pas inaperçu. Il suppose qu'en monnayant son trophée, il va se remettre en fonds. Une illusion. D'autant que d'autres personnes sont à la recherche de ce pectoral, dont une ressortissante colombienne, adepte de cette religion vaudou qui s'est disséminée insidieusement de par le monde.

Une légende, venue d'ailleurs, affirmerait que ce pectoral, sur lequel sont gravées des inscriptions à la signification inconnue des profanes représente un masque bizarre, qui pourrait être, ceci sous toutes réserves, la représentation d'une sorte de pieuvre géante à visage humain dénommée Cthulhu.

 

 

Placé sous l'ombre tutélaire de Howard Philip Lovecraft, ce roman lorgne vers un côté fantastique maritime mais sans pour cela que cette ambiance soit trop appuyée.

Jean-Christophe Macquet débute cette histoire par une partie historique située le 21 février 1636. Le Saint-Michel, un superbe trois-mâts corsaire, entre en baie de Canche avec à son bord des prisonniers espagnols et un moine mutique. Parmi la cargaison que contenait le galion espagnol arraisonné par les corsaires, un drôle d'objet en or, un pectoral. Le moine daigne parler, un peu, se déclarant ennemi des hispaniques, et réclame son bien qu'il juge inestimable. Dans la nuit se déclenche la fameuse tempête qui balaiera tout sur son passage, enfouissant l'ancien village de Rombly.

Quelques siècles plus tard, débarquent à Insmouth, dans le Massachussetts, l'inspecteur Matingout et l'agent spécial Walter Smith. Ils sont à la recherche d'un couple, dont Henri Delafontaine, en provenance de la Louisiane, identifié comme un grand prêtre d'un culte mystérieux, le vaudou. Il serait accompagné d'une certaine Ursula Morales, veuve d'un anarchiste français, Emile Dubois, condamné à mort et fusillé à Valparaiso peu de temps auparavant.

 

Dans ce récit, qui suit un ordre chronologique, évoluent par la suite, au moment de la découverte du pectoral et sa soustraction par Boivin, le policier français Louis Delamer, qui est sur la trace d'une Colombienne, Ursula Morales, plus quelques autres personnages dont un énigmatique peintre américain qui réserve la vue de sa production à des amis choisis.

 

Entre policier et fantastique, ce roman qui inaugure la nouvelle collection Belle Epoque, se lit avec un plaisir trouble, dont certains personnages ont réellement existé, par exemple l'anarchiste Emile Dubois, un enfant du pays. Il n'est pas nécessaire de connaître l'œuvre de Lovecraft pour en apprécier l'hommage au maître de Providence.

Cette plongée dans une époque considérée comme belle, nous ramène à des points plus terre-à-terre. Le racisme latent, ordinaire, quotidien, qui ne s'avoue pas comme tel. Ainsi l'un des protagonistes parlant d'un couple évoluant sur la plage de Wimereux, s'exprime ainsi : Je les ai croisés sur le boulevard de la Plage, et puis le mari... c'est un négro !

C'est également une page d'histoire, souvent méconnue, que met en scène l'auteur, lorsque par exemple il évoque un certain Charles-Joseph Bonaparte, petit-neveu de Napoléon 1er, né à Baltimore en 1851 et créateur du BOI : Bureau Of Investigation, l'ancêtre de l'actuel FBI.

Jean-Christophe MACQUET : Un Américain sur la Côte d'Opale. Collection Belle Epoque. Pôle Nord éditions. Parution le 9 novembre 2015. 218 pages. 10,00€.

Partager cet article
Repost0
2 mars 2016 3 02 /03 /mars /2016 17:04

Hommage à Jan Thirion qui vient de rejoindre

le Paradis des écrivains...

Jan THIRION : Xotic.

Dans un pavillon vert

Seul avec madame Lotus, Héli ressent les sensations d'un désir attisé par des peintures, des tableaux accrochés au mur et dont la signification est cachée. Pas aux yeux de tous, pas aux yeux de ceux qui savent déchiffrer les messages grâce à leur connaissance des traités d'érotologie chinoise.

Et les sensations qui devraient emmener au ciel la femme, c'est lui qui les perçoit, de tous son corps, de tout son être.

Emporté par le désir, il parle et madame Lotus, tandis qu'elle s'essuie les mains à une serviette chaude, lui demande ce que peut vouloir dire Tilde. Les autres mots, elle les connait, les a déjà entendu proférés par d'autres bouches exhalant l'extase, mais Tilde, ma tilde comme il a dit, elle ne comprend pas.

Alors Héli se rend compte qu'il a évoqué Mathilde. Que répondre à cette demande d'explication sans trop racler les souvenirs, sans se mettre à nu. Il invente.

Extrait de la « Soupe tonkinoise »

 

Au jardin botanique

L'agitation règne au Jardin botanique, les spectateurs attendent, prêts pour le spectacle qui va débuter. Héli attend Mathilde. Enfin il l'aperçoit en compagnie sa cousine, religieuse en habit noir. Il attend l'extinction des feux pour pouvoir se rapprocher d'elle, de Mathilde. Enfin, il se positionne derrière elle, à la toucher presque tandis que sœur Blandine devant eux n'a d'yeux que pour la scène qui va se dérouler bientôt. Alors il sort son couteau...

Extrait de la « Soupe tonkinoise »

 

En pousse-pousse

Héli hélé est étonné. Personne ne l'appelle ainsi, Héli. Sauf Marthe, qu'il a connu tout jeune, mais qui ne jouait pas avec eux, frères et cousins. Marthe qui habite à Hanoï mais il ne s'attendait pas à la rencontrer dans la rue des Vermicelles, dans un pousse-pousse à proximité d'une fumerie d'opium. Il l'aimait, croyait que c'était fini, mais pas de rémission pour la maladie d'amour.

Extrait de « Le Complot des empoisonneurs » Inédit.

 

A la caserne

Héli rêve à moins qu'il joue avec la boîte à souvenirs. Souvenirs entretenus par des images, une mèche de cheveux de Marthe dans un coffret, un foulard encore humide de ses larmes, une lettre arrivée la veille et non décachetée, un livre sur le Tonkin, une arme à feu, un modèle autrichien ancien mais qui fonctionne encore. Il doit rendre son rapport sur des événements survenus la veille. Lorsqu'on lui annonce qu'il a de la visite, une dame...

Extrait de « Le Complot des empoisonneurs » Inédit.

 

Ancré dans le Tonkin, au temps des colonies, ce recueil de nouvelles est empreint d'une poésie érotique, ou d'un érotisme poétique, sage. Tout est décliné en douceur, en finesse, même lorsque les scènes qui pourraient être tragiques se révèlent humoristiques, comme sorties d'un petit film en noir et blanc presque muet.

Jan Thirion vient de partir, mais il restera en nous par ses écrits. Quelque chose en nous de Jan Thirion, pourrait-on presque murmurer... des images, des senteurs, des odeurs, des sensations que l'on perçoit grâce à une force d'écriture qui lui est propre, qui nous emmène au delà des océans, dans un pays qu'il restitue avec charme et lyrisme.

Jan THIRION : Xotic. Nouvelles numériques. Collection Culissime. Editions Ska. 1,49€. Nouvelles tirées de deux romans de Jan Thirion : La soupe tonkinoise (TME) et Le complot des empoisonneurs (inédit).

Partager cet article
Repost0
1 mars 2016 2 01 /03 /mars /2016 17:08

Le nez dans la poussière...

C'est pas la faute à Voltaire !

Frédéric LENORMAND : Docteur Voltaire et Mister Hyde.

Et de la poussière, il en vole dans Paris et plus particulièrement dans l'échoppe d'un apothicaire. Une poudre blanche qui provoque la mort du potard. Pour les policiers arrivés sur place, il ne fait aucun doute, l'homme a été poignardé. Pour le médecin, la situation est plus grave. Le défunt avait contracté la peste. Mais il ne faut pas ébruiter cette information, afin d'éviter un vent de panique qui pourrait se transmettre comme une traînée de poudre. Il ne faut en aucun cas que les Parisiens s'affolent. Dernière petite précision, le pharmacien italien se nommait Sanofo Sanofi, un nom prédestiné.

Pendant ce temps François-Marie Arouet, plus connu des collégiens et des lycéens sous le nom de Voltaire, passe du bon temps à Cirey, propriété de la famille du Châtelet dont une représentante est Emilie, sa maîtresse avouée. La noble demeure tombe en ruines et il a toute latitude pour rénover ce château ancestral. Il ne ménage pas sa peine, ni l'argent. Emilie bientôt vient lui rendre visite. Mais ils ne s'entendent pas sur la disposition des fenêtres, des escaliers, de petits détails.

Des Anglais viennent s'immiscer dans ce bel ordonnancement foutraque. Accompagné de deux personnages qui feraient fortune dans une foire aux monstres, le sujet de la perfide Albion se présente. Hyde, gardeneur, enfin jardinier-paysagiste, baronet of Jek'Hill. Mais les incidents s'enchaînent. Voltaire manque sombrer alors qu'il s'est réfugié à bord d'un canot. Il est sauvé de la noyade par Buffon, qui se promenait dans le quartier, étudiant faune et flore. Il échappe également de peu à une poutre éprise de liberté qui tombe d'un échafaudage. Et un message codé lui est remis, signifiant à peu près qu'il est en danger, qu'il doit regagner Paris au plus vite. Signé un admirateur secret.

C'est le départ pour la capitale mais les soldats rôdent. Hyde lui conseille de se cacher dans une malle capitonnée, lubie à laquelle il se plie volontiers. Enfin presque. La cantine est emplie de ses œuvres tandis que Voltaire qui se doutait d'une manœuvre pas très catholique gagne Paris dans la voiture d'Emilie. Arrêté par les douaniers, il ne peut faire que contre mauvaise fortune bon cœur. Ses charcuteries lorraines, rillettes et saucissons sont taxés hors de prix.

- Mais c'est vu vol, s'insurgea la philosophie maltraitée.
- oui, mais c'est décidé par l'Etat, alors c'est légal, dit le douanier.

Alors que le syndrome de la peste s'est propagé comme une traînée de poudre (bis), Hérault, lieutenant de police, mande à Voltaire d'enquêter sur cette manifestation mettant en péril la vie de ses concitoyens, malgré les gens d'arme qui sont à la recherche du philosophe pour ses écrits séditieux. Voltaire, toujours accompagné de son fidèle secrétaire, l'abbé Linant, s'installe chez son frère Armand, celui-ci supposé vaquer en un autre lieu en province. Il se vêt des habits de son aîné et bientôt il va se trouver confronté à de nombreuses péripéties, en compagnie ou séparément et malgré lui, d'Armand, receveur des épices, ce qui ne veut pas dire qu'il était épicier, mais qu'il était chargé de percevoir la taxe due pour les minutes à l'issue d'un procès par écrit. Ce point d'histoire éclairci, revenons à nos moutons comme disait Panurge.

Et c'est ainsi qu'entre Voltaire et son frère Armand s'établit un chassé-croisé qui met aux prises les deux hommes à des personnages qui prennent l'un pour l'autre, et inversement.

 

Un livre réjouissant, humoristique, mettant Voltaire dans des situations périlleuses, mêlant personnages de fiction et ceux ayant véritablement existés.

Les rapports entre Voltaire et son frère, qui s'entendent comme chien et chat, leurs démêlés, les incidents, pour ne pas dire les accidents et tentatives de meurtre auxquels ils sont confrontés, l'ambiance qui règne dans un Paris pesteux, et les manigances médicales et autres, les tours de passe-passe, tout ceci fait de ce roman un livre hautement jouissif.

Voltaire est montré sous un jour facétieux, entre Louis de Funés et Rowan Atkinson (mais si, vous connaissez ! Mister Bean !), et pourtant certains épisodes sont véridiques. Pour preuve les différents documents, lettres principalement, qui sont donnés en exemple en fin de volume.

Voltaire est en avance sur son temps et certaines de ses expressions resteront dans la mémoire musicale. Ainsi s'écrie-t-il, alors qu'il est dans une barque en train de couler : Help ! I need somebody ! Help ! Des paroles dont s'empareront quatre garçons dans le vent plus de deux siècles plus tard pour forger un tube mondial, le terme planétaire devenant tellement galvaudé, et qui marquerat toute une génération.

Les petites répliques acides, les remarques non dénuées de bon sens prolifèrent comme autant de piques :

- Les gens ont du mal à comprendre que les livres sont tous différents, surtout quand ils ne les lisent pas.

Et l'auteur, Frédéric Lenormand, ne se prive pas de s'amuser avec l'actualité, qui comme nous le savons, n'est qu'une répétition d'épisodes déjà joués dans les siècles précédents.

- Alors ? Vous avez réfléchi à ma proposition ?
- J'y pense tous les matins en me rasant.
- Tiens ? Vous vous rasez vous-même ?
- Oui, je côtoie trop de raseurs dans la journée.

Frédéric LENORMAND : Docteur Voltaire et Mister Hyde. Voltaire mène l'enquête. Editions Jean-Claude Lattès. Parution 3 février 2016. 342 pages. 18,00€.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
  • Contact

Recherche

Sites et bons coins remarquables