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20 avril 2018 5 20 /04 /avril /2018 08:16

Pauvre Blaise, qui n’était pas à l’aise…

La Comtesse de SEGUR : Pauvre Blaise.

Il est amusant de relire un roman avec un recul de plus de soixante ans. Nos yeux captent plus de messages disséminés par l’auteur que lorsqu’on découvrait ces petits romans à l’âge de huit dix ans. Et il est frustrant de constater que de nos jours bien de ces romans connaissent une réécriture ou des coupes.

Ainsi ce Pauvre Blaise, qui n’est pas le plus connu de ceux écrits par la Comtesse de Ségur, comporte dans la version que je possède, celle de 1943, 312 pages, et le texte est accompagné d’illustrations d’Horace Castelli, le plus souvent disposés en vignettes dans le corps du texte. Or, en vérifiant sur certains sites, un éditeur, Casterman pour ne pas le nommer, proposait en 2004 cet ouvrage avec 156 pages. Etonnant, non ? Ou, s’il ne s’agit pas d’une version tronquée, ces dernières versions n’incluent plus les illustrations d’origine, ce qui est fort dommage.

 

A la lecture de ce roman, on se rend compte combien les mœurs ont évolué depuis l’écriture de cet ouvrage destiné à Pierre, le petit-fils de la comtesse.

Blaise pense à l’arrivée des nouveaux occupants au château. Il est chagrin car il a perdu son ami, le pauvre petit M. Jacques, le fils des anciens propriétaires. Ceux-ci ont déménagé, ne désirant pas entretenir deux résidences reçues en héritage. Or les nouveaux propriétaires, s’ils se conduisent comme leurs valets arrivés en éclaireurs, risquent d’être à ranger dans la catégorie Mauvais, contrairement aux parents de M. Jacques, pense le gamin.

Ces nouveaux maîtres dont Anfry et sa femme, les parents de Blaise, sont les concierges, sont arrogants, surtout monsieur de Trénille. Quant à leur fils, Jules, c’est une vraie teigne. Menteur, fabulateur, égoïste, fourbe, coupable de bon nombre de bêtises dont il impute la faute à Blaise. Heureusement, Hélène, la sœur de Jules, est nettement plus sage, sensée, conciliante, et elle n’apprécie pas, non seulement les écarts de conduite de son frère, mais surtout ses mensonges. Et elle défend Blaise auprès de ses parents.

Au départ, Blaise ne voulait pas aller jouer avec Jules, s’étant fait rabrouer par les domestiques, imbus de leur position dominante. Mais il a bien dû céder devant les demandes de M. de Trénille puis de son père. Mais à chaque fois, Blaise se trouve le dindon de la farce. Et des stupidités, Blaise est amené à s’en rendre coupable, parfois, par la faute de Jules. Ainsi lorsqu’il lance, au clair de lune, une pierre sur un soi-disant fantôme et que celui-ci se révèle être un chat blanc. Il est vrai que l’animal était posté sur le mur du cimetière, ce qui pouvait induire en erreur. De toute façon, il ne fera plus peur, étant décédé sous le coup de pierre.

M. de Trénille possède des œillères et il ne peut comprendre que son cher fils se rende coupable de quoi que ce soit. Pensez donc, un fils de bonne famille ne peut que porter des valeurs morales édifiantes. Pourtant Blaise sauve la mise à Jules. Par exemple lorsque celui-ci est plongé dans une mare, par sa faute puisque Blaise ne voulait pas qu’il y aille, et qu’il s’y rend quand même à dos d’âne. Une cabriole de la part de l’animal et Jules se retrouve complètement trempé, avec des sangsues accrochées notamment au visage. Blaise dans sa grande bonté l’aide à se changer, lui prêtant ses vêtements secs et enfilant les habits mouillés de Jules. Et rentrant chez lui, Jules prétend que Blaise lui a volé ses effets. Un épisode parmi tant d’autres.

Mais parfois les descriptions de ces scènes sont narrées un peu mièvrement. Il est vrai que les deux gamins n’ont que onze ans et que ce livre s’adresse à des jeunes du même âge. Pourtant on remarquera qu’aujourd’hui, malgré tout le respect que peut émettre un ouvrier envers son patron, celui-ci ne s’adressera pas en ces termes tels que le fait Anfry :

Pardon, Monsieur le comte, vous êtes le maître et je suis le serviteur, et je ne puis répondre comme je le ferai à mon égal, pour justifier mon fils ; mais je puis, sans manquer au respect que je dois à Monsieur le comte, protester que Blaise est innocent des accusations fausses de M. Jules a portées envers lui.

Comme ceci est bien dit. Donc il s’agit bien d’un livre où la morale est présente partout, prônant la vertu, notamment celle du travail. Ainsi lorsque Jules vient chercher Blaise pour s’amuser, celui-ci est en train de défouir un lopin de pommes-de-terre et il refuse de l’accompagner car sa tâche n’est pas terminée.

Mais il dénonce certaines pratiques des nobles et des gros bourgeois envers leurs employés. Ceci n’a guère changé, dans les faits et dans l’esprit. Mais ce qui a changé, ce sont bien les relations enfants-parents, et surtout les occupations des jeunes. Les temps ont évolué, les mœurs aussi, et les occupations des gamins de onze ans ne sont plus d’aider les parents mais de se livrer à des jeux vidéos ou autres.

Mais tout ceci est bien loin et il faut lire ceci avec un petit sourire, même si le respect doit toujours être présent, et nous en manquons souvent.

Dernière petite précision : La Comtesse de Ségur n’hésitait pas parfois à décrire des petites scènes de violence ou de sadisme. Ainsi, alors que Blaise donne des pommes du verger de ses parents à un éléphant, dont le propriétaire fait partie des gens du voyage allant de village en village dans le but de distraire les bonnes gens en faisant exécuter par son animal quelques tours, Jules lui a trouvé un moyen de se distinguer. Possédant une aiguille, il la plante dans la trompe de l’animal qui réagit vivement. Et c’est encore une fois de plus le pauvre Blaise qui encourt les remontrances !

Un roman à mettre dans la malle aux souvenirs, et la nostalgie avec.

La Comtesse de SEGUR : Pauvre Blaise.

La Comtesse de SEGUR : Pauvre Blaise. Illustrations de H. Castelli. Bibliothèque Rose Illustrée. Editions Hachette. Parution avril 1943. 312 pages.

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18 avril 2018 3 18 /04 /avril /2018 07:55

Et ce n’est pas du cinéma…

Christian VILA : X.

Gaël Desmonts, de l’Agence DO, est bien obligé de se rendre à l’évidence. Lui qui ne croyait pas aux OVNI, alors qu’il franchit un col pyrénéen sur sa BM, il aperçoit une lueur. Un énorme objet flotte dans le vide, s’élève doucement dans les airs. Sur le ventre de l’engin est inscrit un symbole, un X.

Le phénomène s’éloigne et Gaël reprend sa route vers la capitale. Un pompiste obligeant lui fait remarquer qu’un véhicule le suit. Arrivé aux portes de Paris, il est arrêté par la gendarmerie. Rien de bien conséquent. Une simple vérification de papiers. Bizarre toutefois que ses papiers, lorsqu’ils lui sont rendus, soient tièdes, comme s’ils avaient été photocopiés.

Au même moment dans le sud Tunisien, Ingrid Altman, tente avec la complicité d’autochtones, d’échapper à un Français, qui se fait passer pour un Allemand. Elle aussi a vu des Ovni, et depuis elle ressent envers ces engins comme une grande bouffée de tendresse, comment dire... d’amour.

Que voulez-vous, les sentiments, ça ne se contrôle pas. C’est pareil pour Gaël qui s’aperçoit qu’entre Sonia et lui, il y a comme un petit quelque chose qui leur remue les tripes, le cœur et le reste. La sœur d’Ingrid requiert les services de Gaël, lequel refuse arguant que ce genre d’enquête ne s’inscrit pas dans les activités normales de l’Agence Do.

Toutefois lorsque Sonia se retrouve dans le coma, à cause d’un chauffard qui a voulu délibérément l’écraser, Gaël prend le taureau par les cornes et remue dans les brancards. Puisque c’est ainsi, il se rend dans le Sud Tunisien, en compagnie du fidèle Mokhtar, et on va voir ce qu’on va voir, barbouzes ou pas.

 

Ce roman, qui aurait dû être édité dans la défunte collection Aventures et Mystères des Editions Fleuve Noir, ne dépare pas cette nouvelle collection S.F. qui s’ouvre un peu à tous les domaines et à tous les genres.

Un livre qui ne manque pas de piquant et qui aurait pu être dédié à Jimmy Guieu, Jacques Pradel et Jean-Claude Bourret.

Christian Vilà nous offre un roman sympathique, qui ne se prend pas au sérieux mais dont l’intrigue est toutefois écrite avec rigueur. Tous ceux qui aime et le roman policier et la science-fiction, à condition qu’elle ne soit pas trop intellectuelle et rébarbative, devraient apprécier ce livre.

 

Christian VILA : X. Collection SF Mystère N°43. Editions Fleuve Noir. Parution juin 1998. 224 pages.

ISBN : 2-265-05906-4  

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17 avril 2018 2 17 /04 /avril /2018 08:20

Ce qui en langage non diplomatique signifie

Dégage !

Fred VARGAS : Pars vite et reviens tard.

Chez Fred Vargas, l’ambiance est aussi importante que l’histoire, une ambiance baroque, faussement naïve, aux personnages et aux situations décalées, comme la transposition d’une histoire vraie dans un miroir du jardin d’acclimatation. Et s’il me fallait comparer ce roman à un tableau de maître, une toile de Jérôme Bosch me viendrait aussitôt à l’esprit.

Personnage principal : Joss, ancien marin qui après une altercation avec son armateur s’est retrouvé mis à pied et s’est reconverti, émigré de sa Bretagne natale à Paris, comme crieur public. Un de ces nombreux petits métiers qui ont disparu de la circulation à cause de la modernité mais se retrouvent mis en valeur justement par le manque de communication directe.

Depuis quelques jours sa boîte aux lettres recueille des messages à la teneur absconse. Pendant ce temps le commissaire Adamsberg est confronté à une autre énigme : des 4 inversés sont peints sur les portes, sauf une, d’immeubles du XVIIIème arrondissement. Au dessous de ce 4 inversé, une inscription sibylline : CLT. Et puis les cadavres apparaissent, pas vraiment beaux à voir, comme s’ils étaient atteints d’une maladie qui a disparu depuis longtemps.

 

Lorsque la fiction dépasse la réalité ou comment un auteur de polar ou de romans noirs possède la prescience d’un événement. Fred Vargas, toujours égale à elle-même dans le choix de ses intrigues raffinées, ciselées, soigneusement disséquées, décortiquées, oscillant vers l’étrange et le bizarre, avec des personnages un peu en dehors du commun, nous livre un roman auxquels adhèrent même les lecteurs qui avouent sans barguigner ne pas apprécier en général les romans policiers.

Fred Vargas est fédératrice, un peu comme le fut Simenon en son temps.

 

Ce livre a reçu le Prix Des Libraires 2002, le Grand Prix des lectrices de Elle 2002, le Prix du Meilleur Polar Francophone 2002, et le Deutscher Krimipreis 2004 (Allemagne).

Première édition : Collection Chemins Nocturnes, éditions Viviane Hamy. Parution 15 octobre 2001.

Première édition : Collection Chemins Nocturnes, éditions Viviane Hamy. Parution 15 octobre 2001.

Fred VARGAS : Pars vite et reviens tard. Editions J’ai Lu. N°17461. Réimpression août 2017. 350 pages. 6,80€.

Première édition : Collection Chemins Nocturnes, éditions Viviane Hamy. Parution 15 octobre 2001.

ISBN 9782290349311

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16 avril 2018 1 16 /04 /avril /2018 08:34

Des miasmes qui fleurent bon le suspense…

Elisabeth Sanxay HOLDING : Miasmes

Il aura fallu attendre 90 ans pour que ce roman traverse l’Atlantique et soit enfin disponible sur les étals des libraires. Certains ouvrages moins intéressants, à mon humble avis, bravent les flots beaucoup plus vite, mais ce n’est peut-être qu’un effet de mode et d’un appel du vent soufflant d’ouest en est.

Or Elisabeth Sanxay Holding fut pionnière en son temps, apportant sa touche personnelle dans des romans policiers, en apparence classiques, en y incluant une forte dose de psychologie, d’émotivité, d’angoisse et de suspense. Elle a ouvert la voie à de futures grandes romancières telles que Midred Davis, Charlotte Armstrong, Ursula Curtiss puis plus près de nous Ruth Rendell, et sans oublier, côté masculin, William Irish. Et bien d’autres, ces auteurs n’étant cités qu’à titre d’exemple.

 

Après une étude de marché, déjà, le jeune docteur Alexander Dennison s’installe dans la petite ville de Shayne, non loin de New-York. Il loue un cottage et il attend la patientèle qui ne se presse guère à son cabinet. Au bout de quelques semaines, il n’a enregistré que deux visites, et encore des malades occasionnels, de passage. Il se morfond et l’écrit à sa fiancée Evelyne. Le mariage est reporté, voire compromis, car il lui faut gagner de l’argent afin de pouvoir assurer leur subsistance.

Il est obligé de se séparer de sa cuisinière, de s’occuper lui-même de son ménage, mais au moins cela lui passe le temps. Il envisage même de demander une embauche dans une compagnie maritime, au grand dam d’Evie qui lui signifie que dans ses conditions, leurs rencontres seront aléatoires puisqu’il sera sur mer.

Heureusement, le docteur Leatherby, qui habite dans une grande demeure, lui propose un emploi. Offre acceptée sans discussion. D’autant qu’il sera logé, nourri, et qu’il pourra enfin exercer son profession sérénité. Le docteur Leatherby l’accueille avec sympathie, le prévenant qu’il gardera toutefois quelques clients, mais que l’âge l’oblige à rester chez lui et il ne gardera que quelques patients.

Outre le docteur Leatherby, il fait la connaissance de la sœur de celui-ci, Mrs Lewis, de vingt ans plus jeune, de Miss Napier, la jeune secrétaire, et d’employés de maison, dont Miller le majordome et Ames, le chauffeur. Et il pourrait se sentir enfin dans son élément et penser à Evelyne et à leur avenir s’il ne commençait à ressentir un malaise lié à l’atmosphère du lieu, aux personnes qui y vivent, et aux patients qui rencontrent Leatherby le soir. Un homme âgé, dont les propos l’intriguent, une femme dans la fleur de l’âge qui redescend l’escalier avec des larmes plein les yeux. Miss Napier essaie d’arrondir les angles, tandis que Mrs Lewis est d’humeur changeante.

Le comble est atteint, ou presque, lorsque le vieux monsieur décède d’une crise cardiaque et que l’affaire est classée comme s’il s’agissait d’une banalité. Pis, il lègue à Leatherby une somme d’argent conséquente. Et l’intrusion de Folyet, le prédécesseur de Dennison, est comme celle d’un chien dans un jeu de quilles. La quiétude dont il pensait pouvoir jouir se transforme peu à peu un trouble délétère, se muant en angoisse palpable, alors que miss Napier lui conseille de quitter la demeure, que des affrontements verbaux opposent les occupants des lieux, que l’hostilité s’installe et que des événements se produisent qu’il ne comprend pas.

Une ambiance, une atmosphère étouffante dans laquelle il s’englue peu à peu, et se tisse alors une toile d’araignée dont il a du mal à se dépêtrer.

 

Le thème développé, dans ce roman qui n’a pas vieilli, thème toujours brûlant d’actualité même, Elisabeth Sanxay Holding démontre une maîtrise parfaite de son sujet, et instillant l’angoisse de façon progressive. On pense à Alfred Hitchock.

Premier concerné, Dennison se pose de nombreuses questions mais il les balaie, au départ, se trouvant sans le savoir ou le vouloir en porte-à-faux. Mais les différents personnages qu’il est amené à côtoyer, Miss Napier et Mrs Lewis principalement, ont un comportement en dualité. Elles l’incitent à partir tout en l’enjoignant de rester.

Quant à son mariage avec Evelyne, peu à peu il est amené à se demander s’il a fait le bon choix. D’autant que Leatherby, lors d’une conversation à laquelle participe sa sœur, Mrs Lewis, émet des idées peu conformes à ce qui se pratiquait à l’époque.

Il n’y a pas de conception moderne du mariage, affirme Leatherby.

Votre idée du mariage s’appuie sur ce que l’on appelle « amour » : une passion, une fantaisie éphémère. Avec pour but le bonheur personnel de deux individus. Si vous admettez ces fondements, que les gens se marient pour être heureux, eh bien, il faut dissoudre le mariage lorsqu’ils cessent de l’être.

 

Alors, dans ce roman d’angoisse et de frissons dans lequel se glisse une pointe d’épouvante, Elisabeth Sanxay Holding n’oublie pas qu’elle a débuté sa carrière de romancière dans l’écriture d’ouvrages sentimentaux et il en reste quelque chose. Mais nous sommes loin des romans à l’eau de rose. Et les nombreuses illustrations intérieures, vignettes ou pleine page, de Leonid Koslov ajoutent un charme étrange, vénéneux et envoûtant au texte.

Elisabeth Sanxay HOLDING : Miasmes (Miasma – 1929. Traduction Jessica Stabile). Editions Baker Street. Parution 15 mars 2018. 272 pages. 19,50€.

ISBN : 978-2917559987

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14 avril 2018 6 14 /04 /avril /2018 10:19

Qui ne seront jamais compensées…

Alain BRON : Toutes ces nuits d’absence.

Atrabilaire, un peu comme Paul Léautaud, Jacques Perrot est écrivain et n’a pour seul compagnon que Iago, un chat qui possède ses habitudes parfois dérangeantes pour la sérénité du romancier.

Ainsi il aime se blottir, à un certain moment de la journée, sur une planche disposée au dessus de la cheminée, derrière une boîte en fer. Au début, sa corpulence ne prêtait guère à conséquence, mais en vieillissant Iago a pris de la consistance, et ce qui devait arriver arriva. La boîte tombe et laisse échapper des photos anciennes, des années de jeunesse de Perrot. Une photo de classe, notamment, et il reconnait dessus certains de ses condisciples du Lycée d’Etat de Troyes. Année 1966/1967.

Les souvenirs remontent comme des bulles dans une vasière. Le petit groupe de musique folk, les Hors-la-loi, dans lequel il jouait de la planche à laver. Mais c’est surtout le visage de Brigitte qui s’inscrit dans son esprit. Brigitte qui l’avait repéré lors d’un concert. Brigitte qui avait vingt ans. Lui dix-neuf. Elle l’avait déniaisé, mais ce n’était pas son premier coup d’essai. D’ailleurs elle l’avait avoué dans un sourire. Elle cumulait les amants. Elle poursuivait ses études à Paris, mais revenait en fin de semaine à Troyes, dans un petit studio et où elle était censée étudier, loin du vacarme de la capitale.

Leur liaison avait duré quelques semaines, et il la retrouvait chez elle, traversant la ville avec son vélo jaune. Or, un matin, il apprend par un de ses copains, que le corps de Brigitte vient d’être retrouvé noyé. Elle avait été violée avant d’être étranglée.

Cela le turlupine, car il ne se souvient qu’approximativement de cet épisode de son adolescence, et il demande à son éditeur de lui organiser une séance de dédicaces dans la capitale de l’andouillette. Puis il téléphone au rédacteur en chef d’une publication locale afin de pouvoir s’immerger dans les archives du journal.

Rendez-vous est pris et le revoici sur les terres de son enfance. Naturellement, le journal local a publié un entrefilet annonçant sa venue pour une séance de dédicaces, mais également qu’il enquêter sur la disparition près de cinquante ans auparavant de Brigitte Sobiel. Il va bénéficier de l’aide de Ninon, une jeune stagiaire, qui va l’aider activement.

Ninon prépare un mémoire et tout en travaillant pour le journal, elle anime comme auteur, metteur en scène et actrice une troupe théâtrale. Pour cela elle conduit une vieille camionnette. C’est une adepte de l’informatique qu’elle maîtrise, s’introduisant, pour la bonne cause, dans des sites administratifs ou réussissant à berner ses interlocuteurs au téléphone.

L’annonce de la présence de Perrot, si elle est bénéfique pour les dédicaces, ne l’est guère pour sa santé. A plusieurs reprises il manque d’être agressé, voire assassiné. Mais il s’obstine, il se plonge dans les archives, notamment celles d’un journaliste qui avait couvert l’affaire et prêtée par sa veuve, retrouve quelques vieilles connaissances, ce qui l’oblige à regarder la réalité en face. Il était le jouet, le vilain petit canard, dans la communauté des soupirants, actifs, de Brigitte. Tous fils de notables de la cité troyenne, alors que sa mère tirait le diable par la queue, et encore quand elle le trouvait. Il se rend compte qu’il aimait Brigitte, alors qu’il n’était qu’un jouet. Sa consolation réside en ce qu’il n’était pas le seul.

Certains d’entre eux ont été soupçonnés, mis en garde à vue et l’un d’eux a été arrêté, condamné, et il s’est suicidé. Seulement, Perrot commence à se demander pourquoi il n’a pas été inquiété. Son vélo jaune avait été aperçu devant chez Brigitte et il avait oublié cet incident. Il a oublié beaucoup de choses d’ailleurs. Il se demande même si ce n’est pas lui l’assassin.

 

Alors il remonte la piste des intervenants lors de l’enquête, d’un inspecteur ayant été nommé commissaire à Lyon, de ceux qui avaient été inquiétés par la police, et il se rend compte qu’il met le pied dans un marigot puant. En 1966 et début 1967, le corps de Brigitte ayant été retrouvé le 8 janvier, puis après, il n’avait pas fait attention à des prises de position qui aujourd’hui ont pris de l’importance dans la vie politique française. C’est le nombre de notables et fils de notables qui frayaient à l’époque, et encore aujourd’hui avec l’Extrême-droite, épousant des idées qu’ils n’hésitent pas à afficher mais avec componction, avec démagogie.

Une histoire d’aujourd’hui qui remonte le temps, juste avant les fameux événements de mai 68, et pour ceux qui avaient vingt ans à cette époque, comme moi, les souvenirs remontent à la source. Souvenirs nostalgiques d’une période révolue, constatations d’une continuation dans la propagation d’idées délétères, et mises en parallèles des progrès techniques et de l’enfermement dans une somnolence de petites villes qui connurent leur heure de richesse et deviennent moribondes à cause de biens des facteurs liés, entre autres, au consumérisme.

 

Le lecteur suit le double parcours quelque fois chaotique de cet écrivain qui possède une certaine notoriété sans parvenir à s’élever et a connu de nombreux problèmes sentimentaux dus à son caractère renfermé et atrabilaire, et est resté financièrement pratiquement au bord du seuil de pauvreté. On entre dans son esprit, surtout lorsqu’il se remet en cause, mais il évolue. Il se remet en question, ce qui n’est pas le cas de tous.

Pour autant ce roman propose des moments d’humour, parfois caustique, et enchaîne avec les scènes d’action denses, sans oublier les analyses psychologiques des personnages, des événements, des conséquences. Sans conteste, une réussite qui mériterait une mise en avant de la part des libraires, qui trop souvent se cantonnent dans l’exposition des ouvrages des « grandes » maisons d’édition et oublient les « petits » éditeurs qui osent.

 

Pour quelques glânes de plus :

 

La pensée totalitaire, ajouta-t-il, fabrique des crétins capables de nier l’évidence, de mentir pour être dans la ligne, d’agresser les autres pour se prétendre supérieurs. Je crois que si on laisse faire les intolérants au nom de la tolérance, les tolérants seront balayés, et avec eux la société de tolérance.

 

A l’époque, vous savez, on n’était pas embêtés par les avocats et tout le tremblement. On travaillait à la caresse. Les baffes, les coups de bottin dans la poitrine et les doigts tordus, ça y allait. Bon il a fini par cracher le morceau et le juge l’a inculpé. On a cru que l’affaire était pliée.

 

Les romans suivent l’état d’esprit de leur créateur, et souvent avec zèle. Mais, attention, ils ont le chic pour se détourner, se cabrer, se faufiler à la moindre occasion. A l’auteur de les reprendre au lasso et de les guider vers leur fin. A moins du contraire.

 

Mais, l’empathie c’est un moyen d’éviter l’autre en lui laissant croire qu’on est son semblable.

 

L’informatisation à outrance des services avait abouti à des conséquences inattendues : impostures, quiproquos, faux, manipulations… Une commedia dell’arte numérique qui commençait à peine.

 

Alain BRON : Toutes ces nuits d’absence. Editions Les Chemins du Hasard. Parution le 15 mars 2018. 284 pages. 18,00€.

ISBN : 979-1097547066

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12 avril 2018 4 12 /04 /avril /2018 11:15

C’est joli Popa, c’est comme Poupa ou Papa, mais en plus poétique…

Louisa KERN : Popa.

C’était hier, ou avant-hier, à moins que ceci se passe de nos jours. Est-ce important de dater ? D’autant que la situation décrite aurait pu se dérouler n’importe quand. Peut-être même demain.

Non, il est question d’une 404, ce qui précise un peu à quelle époque les événements se sont déroulés, mais comme elle n’est pas neuve, laissons travailler notre imagination.

Pour le reste aussi laissons notre imagination batifoler dans la campagne, avec cet homme qui plante des piquets, tous les deux pas, afin de délimiter une parcelle de terrain. Annette, la gamine, deux ans, ou trois, ou peut-être quatre, il ne se souvient plus l’accompagne. Mais ce dont il se rappelle, c’est qu’elle le suivait maladroitement, malgré les mottes de terre, qu’elle l’appelait Popa, et qu’au loin, enfin un peu plus loin, les hommes de la petite communauté s’activaient au foin, et que la mère venait leur donner à boire. A lui aussi, et qu’elle ramenait la gamine cahotante.

Et puis, parfois elle le rejoignait le soir. Pas pour parler. Pour fumer un joint, puis s’occuper à autre chose. Et puis un jour, un intrus…

 

Alors, évidemment, le lecteur, moi en l’occurrence, pense au Larzac, à Sivens, voire à Notre-Dame-des-Landes, et s’immisce dans les pensées de l’homme aux piquets. Et quand l’on sait combien un cerveau possède de circonvolutions, parfois le lecteur se trompe de chemin.

Une nouvelle toute en finesse, que l’on relirait uniquement pour le plaisir, pas parce qu’on n’a pas tout compris, mais pour saluer le joli tour de force.

A noter que, même s’il vit loin de la mer, l’homme construit un bateau. Comme Louisa Kern qui s’ingénie dans cette nouvelle à nous mener en bateau ? Rien n’est moins sûr, même si tout est possible.

 

Et pour vous procurer, sans frais d’envoi, cette nouvelle, une seule adresse :

Louisa KERN : Popa. Nouvelle numérique. Collection Noire Sœur. Editions Ska. Parution avril 2018. 10 pages. 1,99€.

ISBN : 9791023406955

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11 avril 2018 3 11 /04 /avril /2018 08:21

Chaque pays pourrait les revendiquer !

Kyotaro NISHIMURA : Petits crimes japonais.

Après avoir publié un roman-hommage mettant en scène quelques grands détectives de la littérature policière, Les grands détectives n’ont pas froids aux yeux, les éditions Clancier-Guenaud dans leur collection Série 33 proposaient un recueil de nouvelles du même auteur, Kyotaro Nishimura.

Cette collection qui était dirigée par Stéphane Bourgoin et François Guérif n’a pas obtenu la consécration qu’elle méritait, pourtant les auteurs proposés au catalogue étaient tous de vieux routiers du roman policier et de fantastique, de renommée mondiale. Un problème de mise en place, peut-être, de distribution et de diffusion, de notoriété, mais celle-ci ne s’obtient en général que dans la durée, toute une conjonction de causes défavorables qui firent que cette collection fut abandonnée au bout de seize titres.

Il est vrai que parallèlement François Guérif dirigeait également, et ce depuis 1986, la collection Rivages/Noirs qui était soutenue par les éditions Payot qui possédaient plus de visibilité chez les libraires.

Huit nouvelles, dont sept inédites à l’époque de la première édition de ce recueil, qui traitent avec humour et ironie des petits crimes, des crimes dont les protagonistes sont des personnages simples, des gens de tous les jours, des Monsieur Tout le monde.

Le crime, qui est perpétré par ces chômeurs, ces ouvriers, ces policiers, et autres représentants de la population nippone, est commis un peu comme une tentation, un jeu, un défi, mais aussi par provocation. Provocation envers un destin inéluctable, envers une façon d’interpréter les principes moraux, envers une certaine forme d’injustice, mais toujours effectuée en fonction d’un besoin. Besoin alimentaire certes, mais besoin aussi de dignité.

La banalité au quotidien, serais-je tenté de penser, mais une banalité épicée par la révolte, parfois toute relative, du héros malgré lui qui fait un pied-de-nez à son avenir, à la société ou plus prosaïquement à celui dont il est la victime.

Une femme désirant se débarrasser de son mari devenu encombrant depuis qu’il est chômeur, un policier secourant les clochards d’une manière peu orthodoxe, une jeune fille s’inquiétant de l’état de santé d’un voisin dépressif, un milliardaire apprenant les règles de la charité, tels sont les sujets de ces petites histoires traitées avec un humour noir, narquois, goguenard, grinçant, mais toujours plaisant, raffiné, délicat, comme ces estampes japonaises célèbres pour la minutie de leur dessin.

 

Première édition collection Série 33 N°13. Editions Clancier-Guenaud. 1988.

Première édition collection Série 33 N°13. Editions Clancier-Guenaud. 1988.

Kyotaro NISHIMURA : Petits crimes japonais. Traduction de Jean-Christophe Bouvier. Collection Rivages Noirs N°218. Editions Rivages. Réimpression. Parution le 11 avril 2018. 224 pages. 8,50€.

ISBN : 978-2-7436-4361-4

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10 avril 2018 2 10 /04 /avril /2018 07:54

Et la source est loin d’être tarie !

Hervé HUGUEN : La source du Mal.

Ne pas être présente à un rendez-vous, c’est manquer de courtoisie et de respect envers celui qui vous l’a proposé et à qui vous aviez confirmé votre présence.

Pourtant, il existe parfois des impondérables qui vous empêchent non seulement de se rendre au lieu déterminé, mais encore de prévenir la personne avec laquelle vous deviez passer la soirée.

Ainsi Jérôme Segui s’impatiente car Agathe, comme Madeleine dans la chanson de Jacques Brel, ne vient pas ce soir. Il est vingt heure dix, ils avaient rendez-vous pour visiter l’exposition Costaner puis dîner ensemble, mais toujours pas de nouvelles d’Agathe. Il lui téléphone, mais elle ne décroche pas. Il se rend chez elle, mais il trouve porte close. Toutefois, la voiture est devant chez elle. Il retourne à son lieu de départ, puis enfin rentre chez lui.

Il émet toutes sortes de suppositions, mais pas la bonne. Il décide de retourner chez Agathe mais cette fois son véhicule n’est plus là. La solution de cette défection, il l’apprendra plus tard. Agathe a été retrouvée dans son véhicule incendié dans une zone industrielle en friche près d’une ancienne conserverie. C’est un voisin qui alerté par les flammes a prévenu les policiers et les pompiers.

Tôt le lendemain matin, Baron et son adjoint Arneke prennent les rênes de l’enquête. Tout d’abord ils recueillent les premiers renseignements sur les lieux du drame, puis auprès des voisins d’Agathe et enfin auprès de ses proches grâce aux appels téléphoniques qu’elle a reçu avant son décès et sa crémation.

Questionnements auprès de Nadine, la collègue d’Agathe, de Thomas, l’ex petit ami d’Agathe qu’elle avait plaqué un an auparavant alors qu’ils étaient ensemble depuis cinq ans mais vivaient séparément, de Jérôme son nouveau petit ami depuis six mois puis quelques autres personnages susceptibles de leur fournir le moindre renseignement.

Agathe travaillait pour une assurance, spécialisée dans les placements d’argent et les assurances-vie, et il se pourrait que l’un de ses clients mécontents se soit rendu chez elle avec des intentions belliqueuses. Ses dossiers ont été fouillés, mis en vrac à terre chez elle, et pour l’heure il est impossible de déterminer si des papiers ont été subtilisés. Mais il ne faut pas négliger l’aspect sentimental de cette affaire, car Thomas possède un trou dans son emploi du temps de la soirée.

 

Du samedi 4 novembre jusqu’au lundi 6, Baron et Arneke, assistés de quelques membres du commissariat de Vannes, vont multiplier les rencontres, les interrogatoires, les déplacements, se rendant à Auray, Malestroit et même jusqu’à Saint-Malo, afin de débusquer la vérité, pratiquement sans dormir, fouiller dans le passé, vérifier les appels téléphoniques, les alibis, s’immiscer dans la vie privée.

Et déboucher sur une affaire provoquée puis résolue à cause d’une petite erreur. Agathe avait ce que l’on pourrait considérer comme une double vie. A première vue rien de bien répréhensible mais lorsque le mobile réside dans de vieux papiers, il ne faut s’étonner de rien. Surtout des remous, des soubresauts, des résultats mortifères.

Un bon roman de détection classique dans lequel Baron se prend pour Maigret, sans le vouloir, sans s’en rendre compte, un mimétisme reposant.

Quelque chose le rongeait, qu’il ne parvenait pas à définir vraiment. Le sentiment qu’un détail leur échappait, une connexion qui ne se faisait pas. Ils suivaient deux histoires parallèles, et le propre des parallèles est qu’elles ne se rencontrent jamais.

 

Baron ne répondit pas. Ses yeux ne cherchaient pas ceux de Lanne, il semblait ailleurs. Est-ce qu’il écoutait seulement ? Est-ce que cette conversation avait un sens pour lui ?

 

Oui, Nazer Baron est un homme comme un autre, pas un super-héros, mais quelqu’un qui réfléchit au lieu d’user de la force. Et avec l’âge, et les séquelles du métier, conjugués aux intempéries, il ressent des tensions dans la hanche, là où sa cicatrice se réveillait parfois quand l’humidité froide venait lui rappeler son ancienne blessure. Il avait renoncé à conduire. Mais ce n’est qu’un mauvais moment à passer, et il prend sur lui (et peut-être quelques antalgiques et analgésiques mais il le cache, un policier ne se drogue pas) afin de diminuer la douleur, et peu après il pourra reconduire. Mais parfois il mérite un carton jaune :

D’une pichenette, Baron envoya le mégot s’éteindre dans le caniveau et reprit sa progression lente.

J’en connais qui se sont pris une prune à 68 euros pour avoir laissé tomber un mégot sur le trottoir, sous le motif d’abandon de déchets sur la voie publique.

 

Hervé HUGUEN : La source du Mal. Série Nazer Baron N°13. Editions du Palémon. Parution le 2 mars 2018. 272 pages. 10,00€.

ISBN : 978-2372605175

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9 avril 2018 1 09 /04 /avril /2018 08:36

Alors fais-moi un signe

Apparais je t'attends.

Thomas LAURENT : Le signe du Diable.

Affalé dans son fauteuil, près de la cheminée, le vieil homme semble dormir. Mais ce n’est qu’une apparence. Le bon curé du village, le prêtre Bérard, vient de décéder. Sa fille Morgane, dix sept ans environ, en est fort marrie et déboussolée.

Car le bon curé, fort estimé de ses ouailles, a fauté. Personne ne lui en a tenu rigueur. Seule la mère de Morgane a essuyé la vindicte de la populace qui la considérait comme une sorcière, une maléficière. Et Morgane, qui ne s’aventure guère près du village, possède une tache de naissance sur le front qui la désigne comme héritière des dons et pouvoirs de sa mère.

Les villageois, venus apporter quelques vivres au curé, forcent la porte car Morgane s’est retranchée dans la cabane. Ils découvrent le tableau macabre et accusent aussitôt Morgane d’être responsable du décès de son géniteur. Ils l’emmènent jusqu’à un arbre afin de la pendre, mais un éclair subit coupe la corde attachée à une branche et Morgane peut s’enfuir dans la forêt à dos de mule.

Morgane arrive dans le village de Hurlebosque, mais comme elle n’est guère connue par les habitants du bourg, elle pourrait s’intégrer et vivre des jours calmes si deux événements ne précipitaient son destin. Pourtant son intrusion n’est pas passée inaperçue. Exténuée, harassée, sale, les cheveux blanchis par l’épreuve, heureusement avortée de la pendaison, elle est recueillie par un vieux couple de boisilleurs dont la seule ressource consiste en le ramassage de branchages et la confection des fagots.

 

Les deux événements qui se précipitent résident d’abord dans le fait que le seigneur du lieu est décédé quelques semaines auparavant dans des conditions tragiques et mystérieuses, sans que son corps soit redécouvert. Depuis son fils Philippe semble atteint d’un mal qui l’oblige à murer les ouvertures de son château et lui-même se cloître.

L’autre événement est lié à la venue de l’inquisiteur Henri Niger. Morgane est tout désignée pour subir les foudres de ce religieux qui traque les maléficières et autres personnes qui pourraient se montrer hostiles envers la religion. Morgane est arrêtée et ne peut s’empêcher, sous la torture, d’avouer un crime imaginaire. En attendant son dernier supplice, la mort, Morgane est enfermé dans les caves du castel. Elle est délivrée par le fils du seigneur défunt du lieu qui lui demande de remplir une mission. Elle sera accompagnée par un jeune chevalier, Thierry de Mânecombe.

Ils doivent débarrasser la région de Maurie, une sorcière malfaisante réputée qui vit au milieu des marais. Et selon le baron Philippe, seule Morgane peut arriver à accomplir cette mission qui en même temps signifie sa libération.

 

Morgane assistée de Thierry va vivre, ou plutôt subir moult épreuves dans ce qui pourrait être un parcours initiatique, un parcours du combattant semé d’embûches. Niger et ses séides la traquent sans relâche, jusque dans les marais. Elle échappe à bon nombre de périls dont une noyade, une ordalie, exemple de la bêtise religieuse qui veut qu’une personne jetée dans une rivière est possédée du démon si elle survit, et innocente si elle se noie. Elle parcourt, toujours en compagnie de son garde du corps chevalier-servant la région, traversant des villages exsangues, bravant le danger envers et contre tout, manquant de mourir dans diverses circonstances, dont un empoisonnement, bref une épopée épique dont à chaque fois elle se relève plus forte. Mais tiendra-t-elle jusqu’au bout de ce périple riche en émotions ?

Dans une France qui a subi les dégâts de la Guerre de Cent ans, puis les affres de la peste et de la lèpre dont des séquelles se manifestent encore, le lecteur suit cette jeune fille sans peur et sans reproche, dans ce qui pourrait être n’importe quelle région française, et que j’aime à situer en Normandie ou dans le Nivernais. Pourquoi, je n’en sais rien, une impression.

En cette fin de Moyen-âge, les seigneurs, les hobereaux de province se conduisent en petits tyrans, et plus particulièrement Raoul de Hurlebosque, dit Raoul le Fel.

A quoi bon épargner les petites gens ? Les sang-bleu ne s’en sont jamais soucié, encore moins ici où tous sont issus de vieux lignages. Ils vivent dans le passé, bercés par la gloire de leurs ancêtres, s’efforçant d’ignorer ce que la guerre, la peste et la ruine ont fait d’eux : des princes de pacotille, retranchés dans des forteresses en ruine ouvertes aux quatre vents.

La France est à un tournant de son histoire, coincée en fin du Moyen-âge et approche de la Renaissance. Mais pour l’heure ce sont bien les méfaits des seigneurs qui règnent sur leur petits domaines et la religion représentée par des inquisiteurs qui ne méritent pas l’appellation de chrétiens qui dominent le peuple.

Dans une atmosphère proche du fantastique mais sans jamais s’y adonner, cette intrigue est un véritable roman policier historique avec la recherche de coupables pour des faits de meurtres, de disparitions inexpliquées, d’empoisonnements. La recherche également de la vérité par une jeune fille, et son compagnon de route, dans un contexte où tout est voué à la sorcellerie, époque oblige, aux superstitions, et à des errances médicales qui se heurtent à la tentative de compréhension de l’origine des maux corporels.

Un premier roman abouti, ficelé comme par un vieux grognard de la littérature de l’Imaginaire, où tout est précis et flou à la fois, comme les silhouettes des personnages, des spectres qui hantent les marais. Thomas Laurent fleurète avec le fantastique mais sans vraiment se laisser aller à la facilité. Et tout est cartésien malgré les apparences. Et petit bonheur de lecteur, Thomas Laurent ne verse jamais dans les violences inutiles, gratuites, ni dans la vulgarité, mais au contraire déniche quelques mots de vieux français, un vocabulaire riche, peut-être désuet comparé à tous ceux qui usent et abusent d’anglicismes (peut-être parce qu’ils cèdent à une mode délétère et snobinarde) mais au combien réjouissant, un peu à la façon de Brice Tarvel et de Robert Darvel.

Un premier roman prometteur foisonnant, épique, avec de l’action, de l’effroi, de l’angoisse, du suspense, de l’amour et une once de psychologie

Dernière petite précision, l’auteur avait vingt et un ans lors de la sortie de ce livre.

© Photo de l’auteur par Julien Laurent.

© Photo de l’auteur par Julien Laurent.

Thomas LAURENT : Le signe du Diable. Editions Zinedi. Parution le 23 juin 2016. 248 pages. 20,00€.

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8 avril 2018 7 08 /04 /avril /2018 14:19

C’est comme pour les œufs de Pâques, suffit de les chercher !

Monstres Cachés. Anthologie 2018.

Neuvième anthologie publiée par Imajn’ère, ce recueil, comme tous ceux précédemment publiés, est une aimable composition entre auteurs chevronnés et nouvelles plumes dont le sommaire est détaillé en fin d’article.

Si la présence d’un auteur comme Brice Tarvel est incontestable, la découverte d’autres noms m’a fort étonné, par exemple celui de David Verdier dont je ne connaissais que les romans de détection et meurtres en chambre close. Et à côté de ceux-ci, la présence de lauréats du concours Imajn’ère signifie un attrait sérieux pour une littérature souvent considérée comme futile.

Futile ? Oui mais au combien enthousiasmante, délassante, et surtout propice à amener de jeunes lecteurs à cette passion dévorante. Même si nos parents n’avaient de cesse de nous enjoindre à poser nos romans et à aller batifoler dehors, de profiter du bon air. Mais de nos jours, il veut encore mieux rester chez soi, à lire des ouvrages tels que celui présenté, que de se baguenauder, au risque de se trouver dans une rafle aveugle, surtout lorsqu’on habite en banlieue.

J’écris, j’écris, mais si je vous entretenais plutôt de ce qu’il y a à l’intérieur ? C’est ce pour quoi vous me lisez, non ?

Alors difficile de tout vous présenter, et difficile d’effectuer un choix parmi tous ces auteurs et toutes ces nouvelles. Tant pis, au risque de déplaire à certaines et certains, je vais me lancer et plouf, plouf, le premier qui lira sera :

Des choses au fond des yeux de Célia Rodmacq. Pourquoi celui-là ? Parce que le titre déjà m’attire, je pense que trouver quelque chose au fond des yeux au lieu d’au fond de… (complétez-vous-même les points de suspension) est porteur de générosité. Une introspection dans un esprit, celui du narrateur qui vit dans une pièce étroite, obscure, encombrée et malodorante. Portant la maison est grande, claire, vide et fade. Il l’aime quand elle est silencieuse, que Maman ne répare pas la voiture, que Papa n’écoute pas la musique, que Billie ne regarde pas la télévision d’où s’échappent les rires des dessins animés. Mais quand il est seul, c’est le calme, et il peut déambuler à loisir et regarder, examiner une photo. Pas de grandiloquence dans ce conte, mais une forme d’étouffement. Le reflet d’un monde vu par un narrateur qui ne se décrit pas, ne se connait pas, peut-être.

David Verdier, avec East end, november, nous envoie en 1888, à Londres et plus précisément dans le quartier de Whitechapel. Point n’est besoin, me semble-t-il de continuer mon développé concernant le tueur qui sévit dans cette nouvelle. Toutefois, David Verdier nous offre une théorie non négligeable dans ce qui constitue un mystère sur l’identité de cet adepte du couteau.

Brice Tarvel, un habitué des anthologies et grand romancier de l’Imaginaire, explore dans La prison de cuir un domaine dont un romancier Américain, qui fait toujours parler de lui et est l’objet de nombreuses études, fut le chantre. Son nom n’est pas cité, donc je m’abstiendrai, tout en précisant toutefois qu’Innsmouth sert de décor à cette aventure vécue par cinq jeunes gens, quatre garçons et une jeune fille, qui n’ont rien à voir avec un fameux club. Mais si Brice Tarvel s’immisce dans une histoire à référence, il n’emprunte pas, contrairement à ce qu’il a déjà produit avec Harry Dickson, à un personnage ou à un auteur, et garde son libre imaginaire dans une histoire digne de son célèbre prédécesseur.

Les morts ont toujours tort, d’après Roxane Dambre, qui situe sa nouvelle dans une agence dirigée par Isadora, une tueuse. Celle-ci vient d’accomplir un contrat, avec vingt-deux morts à son actif, et un personnage cauteleux lui demande de conclure un nouveau contrat. Mais Isadora n’est pas naïve et elle possède des alliés inattendus qui savent la seconder dans cette histoire de poker-menteur.

Avec Simon Sanahujas, nous voici transporté dans un monde qui n’est pas vraiment défini dans une époque qui ne l’est guère plus. Un monstre qui se cache là-dedans pourrait être une histoire mettant en scène Ulysse rentrant chez lui, ou le fils prodigue, ou tout autre personnage revenant au pays après avoir longtemps pérégriné, sorte de mercenaire à la Rambo. Toutefois, si Karn, c’est son nom, est le protagoniste principal, Sturnelle, une gamine, est bien plus qu’un faire-valoir.

Pour Thomas Geha, Le monde selon Minos est une projection dans l’avenir, mais espérons que ce qu’il pronostique ne se réalisera pas. Quoi que, d’apprendre qu’en 2027 vient de décéder Poutine n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. Les événements politiques et scientifiques ponctuent la trajectoire de Jérôme Vergonnes qui, à trente-deux ans, survit à un accident de la route qui a coûté la vie à sa femme et ses deux jeunes enfants. Il est handicapé, sans emploi stable, et naturellement, l’un découlant de l’autre, grevé de dettes. Il fait un jour la connaissance d’une jeune femme et au bout de quelques mois, celle-ci lui propose de se rendre dans un pays d’Amérique centrale afin de se faire opérer.

Le mentor, le grand-prêtre, le grand manitou de ces anthologies, Jean-Hugues Villacampa avec Phenomenae NY nous propose de nous emmener aux Etats-Unis, en compagnie de Randolph Derleth, professeur d’occultisme, qui assiste en compagnie d’une jeune dame, Carmélia, à des événements étranges dans Central Park. Et de fil en aiguille, il va faire connaissance d’autres protagonistes dont le mari de Carmélia, John-Hugues, bouquiniste. Un clin d’œil, pour reconnait en ce personnage la figure même de l’auteur, et qui va en amener d’autres. Le thème central est l’annonce de la conjonction de cinq planètes, phénomène rare, en ce mois de juillet 2016, et dont la statue de la Liberté, va se trouver comme le clou de cette histoire. Et ce n’est pas parce qu’il est l’instigateur de cette anthologie, et des précédentes, que Jean-Hugues Villacampa se laisse aller. Enfin si, il se laisse aller dans un imaginaire débridé, mais il signe également la plus longue nouvelle du recueil.

Enfin, pour terminer mon petit tour d’horizon, suivons un auteur prometteur qui œuvre dans des genres divers sans se galvauder. Julien Heylbroeck, dont j’ai déjà eu le plaisir de vous présenter deux romans, s’immisce dans l’Histoire, relativement proche, ou plutôt dans la continuation de l’Histoire. Bleu, tel est le titre de son texte, et des bleus, l’homme qui se réveille dans une cave, lié à des tuyaux de cuivre en est marqué. Il se demande comment et pourquoi, il est arrivé dans cet endroit de désolation, et recherche dans ses proches souvenirs, ceux qui lui restent après une biture dans un bar, en compagnie d’un homme qui lui semblait inoffensif.

Et comme il faut parfois une respiration entre deux nouvelles, Patrick Eris s’est amusé à rédiger de petites brèves de comptoir littéraire. Quelques lignes, voire une page, pas plus, mais qui se lisent comme un petit blanc avalé vite fait entre deux boulots, une décompression qui n’est pas factice.

 

Un véritable choix vous est donc proposé parmi tous ces monstres, monstres cachés en nous, monstres humains, monstres mythologiques, monstres de papier, le rayon est bien garni et n’attend plus que les chalands en quête de sensations fortes.

 

 

Sommaire :

Préface de Caza, illustrateur de couverture et 20 images intérieures. Page 7.

Nouvelles de :

RODMACQ Célia : Des choses au fond des yeux. Page 11. Lauréate du concours Imajn’ère.

CEDE : Une si jolie chose ! Page 29. Lauréat du concours Imajn’ère.

REEVES J. A. : Une histoire de loyer. Page 51. Lauréate du concours Imajn’ère.

RAVAT Christian : La spécialité de Charcoin. Page 59. Lauréat du concours Imajn’ère.

CHAUDERON Samantha : Mort dans l'œuf. Page 79. Lauréate du concours Imajn’ère.

VERDIER David : East End, november. Page 99. Lauréat du concours Imajn’ère.

TARVEL Brice : La prison de cuir. Page 119.

DAMBRE Roxane : Les morts ont toujours tort. Page 141.

SANAHUJAS Simon : Un monstre se cache là-dedans. Page 161.

DAVOUST Lionel : Regarde vers l'ouest. Page 177.

HEYLBROECK Julien : Bleu. Page 211.

GREENE Beth : Un si beau costume. Page 225.

LEROY-RAMBAUD Martine : Les elligrées. Page 241.

LEBOULANGER Camille : Le chant du Profond. Page 251.

CALVIAC Audrey : Mon très cher monsieur Lapin. Page 273.

SONCARRIEU Pierre-Marie : Memento Mori. Page 283.

CUIDET Arnaud : Mon pire ennemi. Page 305.

LUCE Christine : AIRE3. Page 323.

GEHA Thomas : Le monde selon Minos. Page 343.

VILLACAMPA Jean-Hugues : Phenomenae NY. Page 353.

MALLET Sarah & Romain : Mais... qu'avez-vous fait gober à Solange ? Page 405.

CARPENTIER Francis : Tanatot. Page 423.

VERSCHUEREN Jérôme : La petite chose de Yuggoth. Page 443.

ERIS Patrick : Les brèves. Pages 49, 77, 117, 159, 209, 239, 271, 303.

Postface de Jean-Hugues Villacampa. Page 459

Les auteurs : Page 461.

L’illustrateur : Page 479.

 

En 2013, j’avais eu le plaisir (si, si !) de vous présenter Total Chaos, qui était le premier recueil publié par Imajn’ere. Et en compulsant le sommaire, réduit à l’époque, on peut se rendre compte que depuis quelques lauréats au concours ont tracé leur sillon avec leurs plumes trempées dans l’encre noire. Par exemple Julien Heylbroeck et Jérôme Verschueren qui ont offerts quelques bons titres depuis, aussi bien aux éditions du Carnoplaste qu’aux éditions Les Moutons électriques.

 

Pour vous procurer ce recueil, une seule adresse :

Monstres Cachés. Anthologie 2018. Imajn’ère. 17,50€ jusqu’au 25 avril 2018. Ensuite 19,00€. 484 pages.

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  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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