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27 mai 2013 1 27 /05 /mai /2013 15:39

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A quatre-vingt dix ans, Robert Danglars revient sur un épisode marquant de sa vie, entre 1943 et 1945, alors qu’il n’avait que vingt ans et s’est trouvé mêlé, comme des milliers de Français à des faits tragiques qui ont entachés le milieu du vingtième siècle. Né en 1923 au Havre, il perd son père, employé à la Compagnie Générale d’Electricité, à l’âge de deux ans et est élevé entouré de l’affection de sa mère et de sa grande sœur Marianne. Par son oncle Fernand, qui se définit anarcho-syndicaliste, il apprend que son père était engagé dans le mouvement socialiste mais surtout était profondément pacifiste, même en ayant participé à la Grande Guerre. Blessé par trois fois, il était revenu du front avec la gangrène à la jambe gauche, le rendant enfin à la vie civile fin 1917. C’était un être un peu naïf.

faucon-rouge.jpgUn des professeurs d’histoire, syndicaliste et militant à la SFIO (Section française de l’Internationale socialiste, ancêtre de l’actuel Parti socialiste) l’incite à devenir Faucon rouge, mouvement de jeunesse lié au mouvement ouvrier et de la pédagogie nouvelle. C’est tout naturellement que Danglars entre à l’école Normale et devient instituteur. Après quelques remplacements en Seine Inférieure (l’ancien nom de la Seine Maritime), il est muté en Bretagne, à Daoulas, près de Brest. Il a eut le temps d’entrer dans le mouvement trotskyste, mouvement en total désaccord avec les stalinistes qui sont montrés du doigt après le pacte germano-russe. Depuis ceux-ci sont entrés dans la Résistance, certains même avant, reniant la ligne parisienne du Parti communiste français, mais les récriminations sont toujours vivaces. Alors à Daoulas, Danglars est contacté par quelques trotskystes qui proposent une autre alternative à la Résistance, une vision plus pacifique de combattre les nazis. Les Trotskystes entretiennent une haine vivace aussi bien envers les Nazis, qu’envers les stalinistes et les résistants gaullistes. Pour eux, les alliés, Churchill, de Gaulle, Roosevelt et autres figures comme Krupp, Schneider, Ford, Rockeller, ne sont que les représentants du capital. Et Danglars se remémore cette phrase d’Anatole France, qui fut vilipendé par les surréalistes, phrase citée dans une lettre de son père que lui avait remise à quinze ans son oncle Fernand : On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels. Pourtant, au moment où il rédige ce témoignage, Danglars revient sur ses idées préconçues : Aujourd’hui j’estime que nous avions tort de mettre les nazis et les alliés dans le même panier.

La ligne trotskyste consiste à détourner les soldats allemands de la botte nazie, car ils pensent, avec juste raison, que ce sont pour la plupart du temps des ouvriers comme eux. Et en distribuant des tracts incitant les belligérants teutons à prendre conscience qu’ils sont manipulés par des fanatiques, en leur demandant d’arrêter les combats, de déserter éventuellement, ils sont persuadés que ce bain de sang sera tari. Ce qui n’est pas la façon de procéder des staliniens qui perpétuent les sabotages alliés aux autres Résistants, les partisans gaullistes. Seulement si parmi les Allemands les pacifistes ne manquent pas, les nazis possèdent de fervents supporters parmi les opportunistes, notamment le Parti national breton qui pense pouvoir acquérir l’indépendance de la Bretagne. Danglars est englué dans un système complexe, ainsi que ses amis, les responsables de la région brestoise, Pleton, Ned, Delphine et quelques autres dont il ne connait pas les noms, seulement les alias. Il traduit des textes en allemand, il utilise la poly-copieuse et les stencils de l’école afin de pouvoir imprimer les tracts. Et lorsque des dirigeants parisiens viennent sur place afin de définir leur conduite, certains rechignent car les envoyés ne se rendent pas compte de la réalité. Les murs ont des oreilles, mais les collègues ont des yeux. Des traitres signalent les agissements des trotskystes et ceux-ci sont abattus par les nazis et leurs séides français, ou emprisonnés. C’est le cas de Danglars qui se retrouve à Pontaniou, la geôle brestoise, puis à Rennes. C’est là que le directeur de la prison lui signifie que s’il ne remplit pas une mission, sa mère et sa sœur seront considérés comme des traitres et que leur vie ne dépend que de lui.

 

Dans ce roman déstructuré Danglars narre dans un premier temps les heures passées dans un des wagons à bestiaux en compagnie d’une centaine de prisonniers formant le convoi qui les mène de Compiègne vers Buchenwald. Les avanies subies, les exactions des SS, la faim, la soif, l’avilissement dont ils sont sujets, les dégradations humaines et mentales endurées.

Puis il revient sur la vie du camp de Royallieu, les brimades dont il fait l’objet, moins qu’aux autres peut-être, car il sait qu’il est un peu protégé, devant remplir une mission. Enfin après avoir raconté ses mois passés à Daoulas et Brest, il décrit la longue période où il est enfermé à Buchenwald. Des événements qui ont marqué sa mémoire d’une empreinte indélébile. Il ne raconte que ce qu’il a subi, ce à quoi il a assisté, le camp de Buchenwald représentant une population équivalente à celle d’Aix en Provence, ne s’étendant pas sur ce qui se passait en dehors de son environnement. Les milliers de détenus qui stagnent dans ce camp ne sont pas tous des résistants. Les droits communs sont logés à la même enseigne, seuls les triangles apposés sur leurs vêtements les différencient. Pour schématiser les triangles rouges sont les opposants politiques, les triangles verts, les droits communs et les résistants allemands, les triangles bleus les émigrés, les triangles marrons les tziganes, les triangles violets les Témoins de Jéhovah… Et tout ce petit monde, tout en étant dans la même galère, ne se supporte pas forcément.

Mais comment retrouver ce Maurice Paul, l’homme qui le but de sa mission. Et pourquoi essayer de le supprimer dans un camp d’où il est impossible de s’évader et dont l’avenir des « résidents » est pour le moins incertain ? Danglars de pose de nombreuses interrogations concernant sa mission.

Danglars fait partie de ses nombreux hommes de l’ombre, de ceux qui ont pris part activement à la résistance, d’une manière moins spectaculaire que d’autres, car il était et est resté un pacifiste convaincu. Il essaie d’analyser d’un point de vue personnel, mais sincère. Ce témoignage, que j’ai tenu à laisser avant de disparaître, n’est que l’histoire d’un homme ordinaire, ni meilleur ni pire que tant d’autres, que son refus de l’injustice a conduit à des choix qui n’étaient pas sans danger, et auquel l’évolution de l’histoire donne froid…

Il précise en outre que sa mémoire, comme celle des hommes en général, est sélective, et tel événement qui marque l’un ne laisse que peu de trace chez un autre.

Roger Martin prend à bras le corps l’Histoire comme il secouerait un pommier pour en faire tomber les fruits et les étaler afin de les trier au grand jour et démontrer que la réalité n’est parfois qu’une image déformée et qu’une pomme à l’apparence saine peut-être véreuse.

Un roman puissant, poignant, fortement charpenté, documenté et précis, qui montre que malgré toutes les exactions qui ont été commises, l’être humain continue les mêmes erreurs. Les Juifs, les homosexuels se trouvaient propulsés au ban de la société. L’homophobie existe toujours, l’antisémitisme aussi, des prises de positions auxquelles il faut ajouter le rejet des roms, des gens du voyage et bien d’autre. Dernière petite précision. Le Front National d’aujourd’hui n’est qu’une usurpation d’identité. Durant la guerre le Front national, créé en 1941 par les communistes le 15 mai 1941, et qui se nommait Front national pour la libération et l’indépendance de la France, regroupait les Francs-tireurs et partisans français (FTPF) et comptera dans ses rangs de nombreux résistants non communistes. Sans oublier les MOI (Main d’œuvre immigrée) qui ont participé activement à la Résistance. Aujourd’hui les immigrés sont classés la plupart du temps comme indésirables.

Non, l’être humain n’a pas retenu la leçon.


Roger MARTIN : Dernier convoi pour Buchenwald. Editions du Cherche-Midi. 432 pages. 19€.

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