Une road-story… déroutante !
Depuis leur rencontre dans la cour de récréation, Pierre et Sahaa jouent à Je t’aime, moi non plus ! Comme les vagues qui arrivent à l’assaut de la plage puis repartent vers l’horizon, indéfiniment, souvent houleuses, la relation entre Pierre et Sahaa est perturbée en permanence, enregistrant des hauts et des bas. Faut avouer que Sahaa n’y met vraiment pas du sien, traitant son ami, ancien amant, de Noun, qui signifie verge insignifiante. Enfin ce n’est pas tout à fait ainsi qu’elle s’exprime mais vous m’aurez compris. Et Pierre n’apprécie pas du tout cette appellation désobligeante.
Alors comment se comporter lorsque la jeune femme vient pleurer par le truchement du téléphone sur l’épaule de son ami ? Surtout que ce n’est pas pour reprendre une union interrompue sur quelques points de divergence, mais parce que Sahaa a besoin de se cacher. Quoi de plus normal que de venir embêter Pierre au moment où il s’apprête à déguster un Tuc coincé entre deux tranches de pain de mie. Ce n’est pas son régal mais il n’avait que ça à se mettre sous les dents. Donc Sahaa n’est pas en manque d’affection mais est effrayée.
Son copain actuel, Tom-Tom, est une brute qui la tape volontiers, et elle est couverte de bleus qui deviennent jaunes. Comme Sahaa est d’origine asiatique, le changement de couleur c’est moins grave, mais quand même se faire tabasser parce que monsieur est jaloux et qu’il veut toujours savoir ce qu’elle fait, ça lui porte sur les nerfs. Alors elle a loué un studio en catimini, tout en continuant à vendre la drogue. Elle a réalisé deux belles ventes, et maintenant elle s’adresse à Pierre parce qu’un individu a voulu la voir.
Les ennuis commencent pour Pierre, alors que Sahaa n’a pas encore débarqué chez lui. Alors qu’il pense que son amie rapplique, suite à la sonnerie de la porte qui gémit et des coups assenés avec force, il n’a pas le temps de dire ouf qu’il se ramasse un coup de poing qui le laisse à terre. Tom-Tom le jaloux investigue l’appartement à la recherche de sa dulcinée évaporée puis repart, n’étant que de passage. Le moment choisi par la voisine, une vieille qui fantasme, de s’enquérir des événements bruyants. Elle a interverti les noms sur les boites aux lettres, car si un violeur, on ne sait jamais, il y en a qui sont en manque ou préfère les femmes couguars, les vieilles couguars, décidait de procéder à un batifolage, ce serait chez Pierre qu’il se dirigerait. Elle lui propose par la même occasion de lui garder Fibo, le gentil petit lapin qui n’en pose pas, le cas échéant. Sahaa débarque fraîche et dispose comme si de rien n’était et entame le récit de ses avatars, dans le restaurant de Mo, le seul ami de Pierre rescapé de son enfance.
Outre le fait qu’elle a dérobé la boite à coke de Tom-Tom, un paquet d’argent, elle est devenue une bio-clé, celle d’Albert (une référence à Einstein). Un truc bizarre imaginé par cinq collègues de labo, un machin qui se termine en ium, susceptible de détrôner le pétrole, et des papiers cachés avec un bout de métal dans un coffre en Suisse. Cela aurait pu être marrant sauf qu’un jour, alors qu’elle était en voiture compagnie d’Albert, un motard ne s’était pas arrêté à côté d’eux et avait abattu le pauvre chercheur d’une balle dans la tête.
Lorsqu’ils regagnent l’appartement en toute confiance, un lapin les nargue sur le palier. Fibo ! Fibo qui s’est échappé ? Non, la porte est ouverte, et les pieds de la vieille gisent sur le tapis de son salon. C’est pratique parfois un couteau électrique. Ce meurtre fait la une des journaux, et bien entendu le voisinage est suspecté. D’autres aussi comme Tom-Tom qui a été aperçu dans les environs. Il ne leur reste plus qu’à fuir, tenter de gagner la Suisse, attendre qu’une autre bio-clé se présente afin d’ouvrir le coffre, et bonjour la compagnie. Facile à dire ou à écrire mais dans la réalité cela ne se déroule pas toujours avec cette aisance. Sahaa, qui dispose de pas mal d’argent, propose à Pierre de lui servir de garde du corps et éventuellement de réchauffe-pieds. Seulement, outre Tom-Tom, deux individus sapés façon Mormons sont à leur trousses. Alors direction la Belgique, Anvers et contre tout, Francfort, Berne, Zurich, puis Venise… Entre temps Tom-Tom qui a perdu son GPS passe par-dessus la rambarde du toit d’un immeuble aidé par Sahaa, un de moins à les embêter, mais les autres continuent à les pourchasser, ils sont tenaces.
Cette cavale transfrontière, cette road-story en français châtié (et non road-movie comme je l’ai lu quelque part, puisque ce terme est cinématographique) nous ramène aux plus belles heures d’un duo de héros s’évertuant à échapper à un danger connu ou non, ou à un besoin irrépressible de liberté. On peut penser à Sailor et Lula de Barry Gifford et à quelques autres classiques du genre, mais mâtiné de cet aspect antinomique dans les relations entre nos deux routards. Une succession de gags tragico-comiques, narrés avec humour et désabusement, dans un style personnel qui permet à l’auteur de se démarquer de ses prédécesseurs ou confrères actuels. Vouloir Comparer Pascal Thiriet à tel ou tel romancier, à tel ou tel situation ou personnage fictif, lui apposer une pancarte, serait, à mon sens, mal venu et peut-être même offensant. Sauf si le rédacteur d’un article désire se faire mousser en écrivant une phrase choc, et soi-disant humoristique, récoltant les éloges au détriment de l’auteur du roman. Thiriet fait du Thiriet et c’est très bien !
Voir également, entre autres, les avis de Gridou et d'Yv.
Pascal THIRIET : J’ai fait comme elle a dit. Collection Jigal Polar. Editions Jigal. 232 pages. 17,50€.