Comme tout un chacun, je possède des préjugés, des à priori, mais dans le même temps, je suis curieux. Dans le bon sens du terme, c’est-à-dire que je ne m’intéresse pas à la vie privée des gens, voisins, collègues et autres, mais que j’essaie de m’orienter vers tout ce qui touche à la littérature populaire.
Celle-ci se compose de plusieurs genres, déclinés en sous-genres, et la littérature appelée parfois de façon méprisante « à l’eau de rose », ou romans sentimentaux, fait partie de cette classification. Aussi je me suis posé cette question : Quel est donc le secret de Danielle Steel pour drainer autant de lectrices, et de lecteurs ? Et le meilleur moyen de répondre à cette interrogation était de se plonger dans un roman de cette américaine dont la photo en quatrième de couverture pourrait nous faire accroire qu’elle serait une cousine de Barbara Cartland et de Mary Higgins Clark.
Le titre de ce nouvel opus nous incite à nous plonger dans un phénomène de société de plus en plus prégnant, la famille recomposée.
Comment se retrouver mère d’une fratrie de trois enfants sans devenir parturiente ? Tout simplement en adoptant ses neveux devenus orphelins suite à un accident de voiture des parents. C’est ainsi qu’Annie, architecte qui commence à être renommée, célibataire mais dotée d’un petit ami, recueille les trois enfants de sa sœur et de son beau-frère qui ont perdu la vie dans le crash de leur avion personnel. L’arrivée de Liz, douze ans, de Ted, huit ans, et de Katie, cinq ans, fait fuir Seth, l’ami qui aurait pu partager la vie d’Annie et la jeune femme se retrouve seule à continuer à élever son neveu et ses nièces.
Les années passent dans une relative tranquillité, sans heurts de part et d’autres. Liz est passionnée de mode, Ted envisage d’étudier le droit et Katie est fortement attirée par un avenir artistique, tout en se démarquant des membres de sa famille. A treize ans elle commence à se faire percer les oreilles, puis le nombril, à se teindre les cheveux en bleu puis à se faire tatouer, le tout grâce à son argent de poche.
Seize ans plus tard, Annie se rend compte que ses « enfants » commencent à vouloir faire leur vie, ce qui la chagrine, les considérant toujours comme des adolescents. Elle s’est sacrifiée volontairement et vit seule, ce qui ne la perturbe pas outre mesure. Elle a connu quelques aventures sans lendemain, c’est tout. Son travail aussi l’accapare. Malgré les essais de Whitney, son amie de longue date qui l’invite lors de soirées et lui propose de rencontrer des hommes susceptibles de convoler avec elle, elle ne trouve pas chaussure à son pied. Elle est peut-être trop difficile, et les prétendants sont trop fats, imbus d’eux-mêmes, étalant sans vergogne leur richesse et leur position dans la société.
Liz est rédactrice chez Vogue, ce qui l’amène à voyager hors frontières. Elle fait ainsi la connaissance de Jean-Pierre, un photographe français, avec lequel elle s’entend si bien qu’elle finit par partager son lit. Jean-Pierre est un peu plus vieux qu’elle, père d’un gamin et séparé de sa femme.
Ted est étudiant en droit, ses notes sont plus qu’honorables, mais Pattie, maître de conférences remplaçant son professeur habituel, lui suggère de lui donner des cours particuliers. Bien évidemment Ted accepte et rencontre la jeune femme âgée de trente six ans et mère de deux petites filles dont elle partage la garde avec un mari dont elle est divorcée. Mais il va bientôt tomber dans les rets de cette amante, mante religieuse.
Quant à Katie, elle a décidé de sécher les cours pour un semestre, se sentant une véritable âme d’artiste, et de dessiner des tatouages, dont elle porte quelques exemplaires de sa création. Elle va travailler, au grand dam d’Annie, chez un tatoueur, dans un quartier mal famé afin de se faire la main. Elle rencontre Paul, un descendant d’Iraniens réfugiés aux Etats-Unis depuis une dizaine d’année. Il possède la double nationalité et envisage d’aller au pays en sa compagnie afin d’y retrouver le frère de son père et son grand-père, et renouer avec une partie de ses racines.
Annie est perturbée par cette avalanche de ce qu’elle considère comme de mauvaises nouvelles. Elle juge que ses « enfants » adoptifs ne sont pas encore mûrs et qu’elle doit les surveiller malgré les avis de son amie Whitney qui au contraire pense qu’ils doivent parfois se confronter à des erreurs de parcours afin d’acquérir la maturité nécessaire pour mieux se débrouiller dans la vie. Son travail d’architecte l’accapare par ailleurs. Pas au point que ses chevilles gonflent. Si, une quand même, elle a une cheville qui gonfle, à cause d’une malencontreuse rencontre avec une plaque de verglas. Et elle se retrouve aux urgences en compagnie d’un bras cassé, physiquement, un quinquagénaire dont un bras a besoin d’un soutien matérialisé par une attèle. Il est séduisant, et surtout aimable, prévenant. C’est un journaliste présentateur télévisé et accessoirement reporter international.
Tous les ingrédients propices à faire rêver sont présents. Tout le monde est beau, riche ou au moins aisé, mais dans ce microcosme des failles existent. Et tout le talent de Danielle Steel consiste à mettre ces accrocs en évidence afin d’appâter le lecteur, la lectrice le plus souvent. Certaines peuvent se reconnaître plus ou moins dans ces descriptions, mais surtout alimenter leurs phantasmes, leur imaginaire. Des situations cocasses, vaudevillesques sont décrites et quelques passages gentiment érotiques, qui œuvrent plus dans la suggestif que dans le descriptif, peuvent aider à s’endormir ou à la rigueur réveiller leur compagnon afin de procéder au simulacre de la reproduction sans arrière-pensée. Et il est à noter que les yeux d’un homme et d’une femme sont totalement différents lorsqu’il s’agit de juger un tiers. Ainsi Ted voit en Pattie une jeune femme, guère plus âgée que lui, dont les longs cheveux bouclés et blonds la font paraître plus jeune que son âge. Annie qui, rappelons-le a quarante-deux ans, lorsqu’elle aperçoit Pattie qui en a trente-six, la trouve plus âgée et moins bien conservée qu’elle. Mais Danielle Steel pointe un doigt également vers un autre problème de société qui devient de plus en plus courant : la mixité des origines, des religions et des problèmes qui y sont afférents. Bref, je ressors de ce roman avec le plaisir de la lecture, de la découverte, et je regrette que certains se montrent sectaires, rejetant une frange de la littérature sans avoir essayé de l’aborder.
Danielle STEEL : Liens familiaux (Family ties – 2010 ; traduit de l’anglais par Hélène Colombeau). Presses de la Cité. 312 pages. 19,90€.