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25 avril 2019 4 25 /04 /avril /2019 04:49

Quand Georges-Jean Arnaud revient sur ses années juvéniles…

Georges-Jean ARNAUD : Patates amères.

Après avoir évoqué son grand-père maternel, Planou, dans Les moulins à nuages, et sa grand-mère paternelle, Caroline, avec Les oranges de la mer, Georges-Jean revient sur sa tendre enfance, de cinq à dix ans, entre 1933 et 1938 à Courson là où la famille Arnaud, Elie le père, Jeanne la mère et Josette, la grande sœur aînée, habitait à l’époque.

Des anecdotes foisonnantes, des images, des senteurs, des impressions, tout ce qui constitue un album de souvenirs nimbés de nostalgie, celle de l’enfance perdue.

La première image qui vient à l’esprit, en cette année 1933, c’est l’arrivée du père, Elie, à bord d’une voiture. Une guimbarde arborant fièrement l’écusson Peugeot, mais selon le garagiste qui l’examine, il s’agit d’une falsification, d’un ajout non autorisé, cette voiturette ne dépassant pas les quarante kilomètres à l’heure n’étant jamais sortie des usines d’Audincourt, ou de Lille ou encore de Valentigney, les sites de production d’alors. Il n’était pas question de décentralisation hors des frontières.

Cette voiturette, qui possédait de petits vases sur les côtés intérieurs, avait peine à monter la côte de Roquefort lorsque les quatre membres de la famille étaient installés à l’intérieur pour se rendre à Leucate. Il ne restait plus à Jeanne qu’à descendre, prétextant l’envie de cueillir des fleurs avec les deux gamins, et laisser le père s’y reprendre à deux ou trois fois pour gravir cette montée.

Une voiturette qui était garée, seul le père le savait où. Et il s’en servait pour ses déplacements comme fonctionnaire des impôts indirects, surveillant les distilleries. Seulement, étant handicapé d’une jambe, cadeau de la Grande guerre, il était obligé de jouer avec les pédales avec ce membre raide en permanence.

La grand-mère Caroline bénéficia des premières visites en voiture, les parents de Jeanne étant provisoirement délaissés. Georges-Jean et sa sœur aimaient ces randonnées qui les emmenaient sur la plage de Leucate. Souvent ils partaient avec des provisions de bouche pour se sustenter en cours de route, mais lorsque le voyage s’effectuait en une seule étape, la grand-mère était fâchée de voir le panier plein, se plaignant qu’on puisse croire qu’il n’y avait pas assez à manger chez elle.

Chez Planou, le père de Jeanne, il en allait tout autrement. Honorine sa femme était restauratrice et la salle ne désemplissait pas de commis-voyageurs ou de touristes. Des plats roboratifs amoureusement préparés dès le matin, tandis que Planou préférait s’éloigner, laissant les femmes seules aux fourneaux. Planou vagabondait dans ses vignes, son côté poète et paysan.

A Leucate les autochtones se rendaient visite, s’introduisant chez les uns et les autres, sans chichi, sans s’annoncer, sans frapper. Tandis qu’à Villeneuve-les-Corbières, les habitants étaient nettement plus réservés, plus discrets, voire plus respectueux de l’intimité de leurs concitoyens. Deux mondes différents et pourtant si proches mais à l’opposé l’un de l’autre, et pas uniquement d’un point de vue géographique.

D’autres images remontent à la surface, amusantes lorsqu’on prend du recul, humiliantes lorsqu’on n’a que sept ans. Ainsi lorsqu’il est obligé de porter, à cause de vertèbres défaillantes, un corset rose avec jarretelles tenant des bas. Imaginez la risée que cela provoquait lorsqu’il était obligé de se déshabiller devant les autres élèves et les adultes.

Les senteurs, c’étaient surtout l’odeur du tomata acide qui s’écoutait à travers un voile, issu de tomates mûres, trop mûres, afin qu’elles puissent dégorger leur jus.

Et puis surtout, c’étaient les fâcheries à répétition entre ses parents. Fâcheries provoquées le plus souvent par de petits riens avec rétorsion de la part de l’un et de l’autre membre du couple. Le père omettait de donner l’argent qu’il gagnait, sauf la pension d’invalidité qu’il percevait et était commune au ménage. Aussi la mère ne préparait à manger que des clopinettes. Ou, alors qu’elle lui avait fait cadeau d’un ensemble en cuir de bureau, puis le punir, elle cachait les objets à la cave.

Parmi ces objets figurait un tampon-buvard, et cette réminiscence amène tout simplement à évoquer un autre aspect de la vie quotidienne des enfants. Ils s’amusaient grâce à un tampon-encreur à taper sur du papier, des enveloppes, timbrant à tour de bras, devenant le temps d’un jeu postier ou fonctionnaire. Car à l’époque, c’étaient des emplois fort prisés, avec l’assurance de l’emploi et d’un salaire régulier. Contrairement au sort des ouvriers plus mal lotis financièrement dans un travail parfois instable. Le rêve des parents pour leurs enfants. Depuis, ce point de vue a bien évolué, et pas forcément en bien, les fonctionnaires étant accusés de tous les maux, et mots, mais ceci relève d’un autre propos qui serait hors sujet.

Une succession d’anecdotes douces-amères, amusantes avec le recul, et qui nous entraînent de 1933 à 1938, avec quelques souvenirs qui font remonter ceux du lecteur à la surface. Ainsi pour qui a connu le chocolat Elesca, il ne manquera pas de terminer en disant c’est exquis, et la pub faisait fureur, grâce à Sacha Guitry qui, en 1911, avait inventé ce slogan K.K.O. L.S.K. est S.Ki, et qui s’était ensuite décliné en LSKCSki… Souvenir, souvenir…

Cette chronique n’est qu’un survol simple et rapide de l’ouvrage, il y aurait tant et tant à écrire, et puis, il ne me viendrait pas à l’idée de tout raconter, tout dévoiler, car il ne s’agit pas de mes mémoires mais celles de Georges-Jean Arnaud, et donc il importe de les préserver dans ce récit enrichissant. Car outre le récit et les souvenirs, c’est toute une époque qui est restituée, et l’on peut affirmer que c’était mieux avant, mais quand même, on ne peut négliger le changement bénéfique dans les conditions de vie. Bénéfique ? Qui sait, il semble que les gens s’amusaient mieux auparavant, se contentant de petits bonheurs simples et peu onéreux.

 

Si je devais effectuer un reproche, ce serait à propos de la couverture qui pour moi n’est guère engageante. Certes les parents se tournent plus ou moins le dos, montrant leur antagonisme, mais le dessin est figé, pas abouti. Mais après tout on ne m’a pas demandé mon avis.

Ce livre est le dernier de la trilogie consacrée par Georges-Jean Arnaud à sa famille et son enfance. Dommage, j’en aurais bien lu d’autres.

 

Georges-Jean ARNAUD : Patates amères. Editions Calmann-Lévy. Parution le 2 mai 1993. 348 pages. 25,00€.

ISBN : 978-2702122266

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commentaires

P
Salut Paul, outre La compagnie des glaces que je continue, il va falloir que je fasse un billet spécial GJ.Arnaud un de ces jours. Et il y a de quoi faire ! Un grand auteur que j'adore. Amitiés
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O
Bonjour Pierre<br /> J'ai sorti de ma pile quelques romans de G.J. Arnaud que je vais lire ou relire puis chroniquer évidemment. Des titres signé David Murey, Ugo Solenza, Saint-GIlles... Tout un programme !<br /> Amitiés

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  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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