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22 mars 2017 3 22 /03 /mars /2017 06:50

Comme celui de la Joconde ?

Serge QUADRUPPANI : Le sourire contenu.

Chassé de son emploi de superviseur au service contentieux dans une compagnie d'assurances, Mark Senders est un adepte des boissons alcoolisées et des produits illicites qui offrent un voyage dans les paradis artificiels.

Alors qu'il vient de passer la nuit dans un tunnel piétonnier de Riverside Park et dans un état d'ébriété avencée, il entend un homme parlant fort dans son téléphone portable (les gens ne se rendent pas compte combien ils peuvent embêter leurs voisins dans les endroits publics avec leur cellulaire), narrant à son correspondant une conversation avec une tierce personne.

C'est ainsi que Senders apprend malgré lui qu'il s'agit d'une photo, d'une femme à identifier et de l'envie de lui crever les yeux. S'il n'y avait que ça, Senders ne se serait peut-être pas mêlé de la conversation, seulement un type en tenue de jogging arrive, bouscule l'homme. Un cri, l'homme est à terre et le joggeur se retourne vers Senders un poignard de commando de marine à la main.

On n'est pas toujours lucide lorsque l'on est quelque peu bourré, ou alors on se découvre un courage insoupçonné dans un fond de bouteille. Senders s'interpose. Le joggeur prend la fuite et l'homme à terre lui demande de prendre son portefeuille. Il ne faut jamais contrarier un homme sur le point de mourir, aussi Senders s'exécute et c'est ainsi qu'il se retrouve avec une belle somme d'argent et la photo d'une femme nue, aux yeux violets et au sourire contenu.

Senders est un dessinateur, mais cette profession ne nourrit pas son homme, pourtant il se promène toujours avec un carnet de croquis sur lui et il est sensible aux paysages, et surtout aux femmes aux yeux violets.

Le portefeuille recélant des pièces d'identité au nom d'Edward Morgan, Senders écoute le répondeur téléphonique de son agressé puis se rend au domicile dudit. Tout d'abord il est éconduit par le gardien de l'immeuble dans lequel réside (résidait ?) Morgan, mais celui-ci (le gardien) intrigué par les dessins que Senders est en train de croquer, l'invite à boire un thé dans la salle de surveillance. Il assiste à une séance de spiritisme organisée en compagnie de deux vieilles dames et d'un chien (pourquoi pas ?), une séance bizarre ponctuée d'un gaz paralysant. Lorsqu'il se réveille, Senders, qui pensait finir dans la gueule du chien, s'introduit en compagnie de celui-ci dans l'appartement de Morgan et découvre sous le téléphone une feuille sur laquelle sont griffonnés les mots Sofia et Shelter Island.

Sophia, probablement la femme au sourire contenu et aux yeux violets. Senders va se mettre à sa recherche et c'est comme ça que débute un étrange périple qui l'emmènera dans un voyage asiatique bravant malgré les dangers inhérents à ce genre de tribulation, surtout lorsque cette partie du monde est en pleine turbulence. Le gouvernement britannique doit céder le territoire de Hong-Kong qui était sous sa domination, à la Chine, et que le Cambodge connait une crise politique ponctuée par des soulèvements militaires dont les civils seront les premières victimes, comme d'habitude.

 

Mark Senders, héros malgré lui de ce roman, est comme un pion sur un jeu d'échec, confronté aux Rois, aux Dames, aux Fous, aux Cavaliers en pousse-pousse, trimballé sur des cases qui vont des Etats-Unis à Hong-Kong, à l'ile de Shelter, au Viêt-Nam et au Cambodge. Il se déplace comme dans un voyage onirique, entre rêves et cauchemars hantés de chimères opiacées.

Il se sent manipulé, mais il ne sait pas pourquoi, ni comment, il se contente de suivre les instructions, les conseils, les demandes, ou les obligations qui lui sont imposées par différents protagonistes dont Sofia, qu'il rencontre incidemment. Mais elle ne peut lui parler, lui montrant qu'elle porte dans son sillon mammaire un micro dont elle ne peut se défaire. Senders apprend toutefois qu'elle est employée au Haut-commissariat aux Réfugiés, un organe de l'ONU.

Une longue quête débute pour Senders, qui perdra de vue, le lecteur aussi, sa recherche de la femme aux yeux violets et au sourire contenu, bousculé par les événements et multiples incidents et traquenards dont il sera l'objet. Inconscience, pugnacité, devoir moral de continuer ou obligation matérielle et physique de se plier aux injonctions, tout cela à la fois et plus encore peut-être.

Senders, et le lecteur par la même occasion, vit comme dans un rêve, à cause des nombreux produits dopants qu'il consomme, souvent fournis aimablement. Mais un rêve, ou plutôt un cauchemar éveillé, comme lorsque l'on poursuit dans un demi-sommeil un rêve éveillé que l'on traîne en longueur, que l'on prolonge malgré soi, ajoutant des épisodes en une semi conscience parce que l'on ne veut pas s'extraire des images qui nous emprisonnent l'esprit et retrouver un quotidien banal. Ou comme dans ce nuage de Shenzen qui s'étend sur la baie de Hong-Kong tel un voile occultant.

Nonobstant, derrière cette quête-enquête, Serge Quadruppani s'attache également à montrer au lecteur confit dans son petit confort la géostratégie dans cette partie du monde, tout en établissant un éloge de l'ambiguïté des sentiments humains confrontés aux manichéismes assassins.

Première édition collection Les Noirs N°43. Editions Fleuve Noir. Parution avril 1998. 224 pages.

Première édition collection Les Noirs N°43. Editions Fleuve Noir. Parution avril 1998. 224 pages.

Serge QUADRUPPANI : Le sourire contenu. Collection La Petite Vermillon N°429. Editions de La Table Ronde. Parution le 9 mars 2017. 256 pages. 8,70€.

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commentaires

A
Une fois n'est pas coutume, je ne vous lirai pas, Paul. J'ai reçu récemment les quatre romans composant la "Carte noire" attribuée à Jérôme Leroy par La Table Ronde, mais n'ai pour le moment dégusté que celui d'A.D.G. Il fera l'objet de ma prochaine chronique pour La Tête En Noir. Les autres suivront, aussi comprendrez-vous que je tienne à garder intact l'effet de surprise...<br /> Amitiés.
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O
Bonjour<br /> Je comprends fort bien cette attitude puisque je pratique de même. Cela permet de se forger ses propres images sans emprunter à d'autres chroniqueurs. <br /> Bonne journée<br /> Amicalement

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  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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