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24 août 2016 3 24 /08 /août /2016 08:51

René REOUVEN, ou l’apocryphe talentueux.

René REOUVEN : Un entretien.

Lors de la sortie en librairie du Cercle de Quincey, René Reouven a accepté de répondre à quelques questions. Cet entretien a été publié dans la Revue 813 N°66 de mars 1999.

 

Avec Le Cercle de Quincey, René Reouven joue avec le temps, mêlant habilement passé et présent, laissant planer sur ce roman les ombres de De Quincey, de Jules Romains, de Dostoïevski et de Shakespeare, par personnages interposés. Ce n’est pas le coup d’essai de Reouven qui, depuis de nombreuses années, joue ainsi à cache-cache avec les littérateurs, principalement du siècle dernier : Courteline, Alphonse Allais, Gaston Leroux, André Gide, Oscar Wilde, R.L. Stevenson, Jules Verne et surtout Conan Doyle.

Avec un peu plus d’une trentaine de romans à son actif, en quarante ans de carrière, René Reouven reste toutefois un cas à part, comme un anachronisme dans le monde du polar. Il a débuté en signant des ouvrages de littérature dite générale, démarche inverse de bien des auteurs qui aspirent à la consécration en reniant leurs origines de polardeux. Puis il écrit aussi bien des romans de science fiction, des essais, un Dictionnaire des Assassins, des nouvelles. Il engrange les Prix, mais sans faire vraiment parler de lui, se retranchant derrière son œuvre comme derrière un paravent. C’est surtout quelqu’un de modeste.

René REOUVEN : Un entretien.

« René Reouven est un excellent constructeur d’intrigues mais il aime bien rajouter un petit quelque chose en jouant avec les références littéraires qui feront jubiler les connaisseur ». Michel Lebrun et Jean-Paul Schweighaeuser dans Le guide du Polar (Syros -1987).

 

La première question, rituelle, est de demander à l’auteur de se présenter, dont acte :

Je suis né en 1925 à Alger et je publie depuis 1959. Après des études secondaires, c’est l’armée. Puis je deviens commissaire aux Enquêtes Economiques de l’Algérie. J’en démissionne au bout de quelques années pour tenter l’expérience du kibboutz. Plus tard, de retour en France, j’exerce au sein des Services Académiques de l’Education Nationale, d’où j’ai pris ma retraite pour exercer l’activité d’auteur à plein temps.

 

Comment vous est venu le goût, l’envie d’écrire ?

Le goût de lire m’a conduit au goût d’écrire, et d’écrire surtout ce qui me tentait, à savoir ce que j’aurais aimé lire. C’est la raison pour laquelle je ne me suis pas borné à un seul genre : je les aime tous. Je suis toujours à l’aise dans ce que j’écris, dans la mesure où je ne m’impose rien, ni genre, ni thème, ni mode.

 

Vous avez commencé par de la littérature générale puis vous vous êtes lancé dans le roman policier. Comment s’est effectuée cette transition ?

J’ai toujours plus ou moins écrit, sans penser tout d’abord à me faire publier. Et puis un jour j’ai prêté un manuscrit à un camarade qui a pris le temps de le taper, ce qui m’a mis dans l’obligation de le présenter à un éditeur. C’était un roman de littérature générale, comme vous dites, qui s’appelait La route des voleurs. Et par la suite j’en ai écrit quatre ou cinq et un roman de science-fiction avant de m’orienter vers la littérature policière vers laquelle me poussaient en vérité mes goûts, car sur les romans de littérature générale que j’ai écrit, il y en a trois qui sont à thème policier. D’ailleurs, si j’ai écrit plus de trente livres, je ne juge plus utile de porter dans ma bibliographie les romans de littérature générale, la grande disent les imbéciles, par lesquels j’ai commencé. Cinq ou six ouvrages qui ont obtenu le Prix Cazes et le grand prix de Littérature de la Fondation Del Duca pour l’ensemble de mon œuvre, laquelle à l’époque ne comptait pas de romans policiers.

 

René REOUVEN : Un entretien.

Quels ont été vos maîtres ?

Je peux dire que j’ai été influencé par des ouvrages différents qui vont de Zevaco à Arthur Koestler. Ce sont ceux qui m’ont appris, sinon à penser, mais qui m’ont donné quelques grands schémas dans lesquels je me suis un peu orienté.

 

Que représente pour vous la littérature policière ?

Pour moi la littérature policière c’est la meilleure parce qu’elle ne se contente pas de raconter des histoires. Elle fait en plus appel à toutes les ressources de l’esprit du lecteur. Elle établit un dialogue en quelque sorte, puisque l’auteur propose un problème, le lecteur y réfléchit. Il y a même des romans policiers où l’auteur s’adresse au lecteur et lui pose le problème. C’est un jeu excitant pour l’esprit, et, en plus, c’est une histoire qui peut-être passionnante, qui peut retenir en dehors de tout autre problème.

 

Comment travaillez-vous ? Préparez-vous un plan longtemps à l’avance et laissez-vous mûrir vos idées, ou vous astreignez-vous à des pages d’écriture quotidiennes ?

En réalité je ne m’astreins à rien du tout. Lorsque j’ai une idée, je la laisse mûrir très très longtemps. Je fais le plan peu à peu, au fur et à mesure que l’idée se développe, et lorsque l’inspiration me vient, je me mets à écrire. Il peut m’arriver de rester sans écrire pendant plusieurs jours, voire une ou deux semaines, lorsque je ne me ressens pas dans l’état d’esprit nécessaire pour pouvoir écrire. Les idées se décantent, elles s’ordonnent, peut-être inconsciemment, et finalement je me remets à écrire mais je ne m’astreins à aucune contrainte, ni dans le temps, ni dans le lieu.

 

Où puisez-vous vos sujets ?

Un peu n’importe où. Moins souvent dans la presse comme mes confrères le disent généralement. Souvent, je l’avoue, il m’arrive de lire des romans policiers où j’imagine une solution ou une vérité qui est cachée, que je pense être celle proposée par l’auteur, et je m’aperçois qu’il propose une autre vérité. A ce moment là j’utilise la vérité que moi j’avais imaginée et, très souvent, c’est quelque chose qui peut réussir.

 

Pourquoi avoir utilisé les pseudonymes de René Reouven et d’Albert Davidson ?

Lorsque j’ai commencé à écrire des romans policiers sous couverture spécialisée, je venais de publier plusieurs romans de littérature générale pour lesquels j’avais obtenu des prix. Je pensais qu’il n’était pas très élégant de publier des romans policiers sous mon nom et puis, d’autre part, comme je ne proposais pas la même marchandise aux lecteurs, je ne voulais pas l’abuser. Quant au nom de Reouven, la raison pour laquelle je l’ai pris remonte au temps où je vivais en Israël dans un kibboutz. C’est la transcription approximative de René. J’ai donc utilisé ce pseudonyme, puisque j’en avais déjà un. C’était inutile d’en chercher un autre. En ce qui concerne Albert Davidson, c’est un peu différent. J’ai écrit un livre qui s’appelait Elémentaire, mon cher Watson et à ce moment là, la directrice de la collection Sueurs Froides, qui était à l’époque Noëlle Loriot, m’a proposé de prendre un pseudo anglo-saxon. Non pas tellement pour abuser les journalistes, mais sutout pour que le lecteur, qui pratique un chauvinisme à l’envers dans cette matière, soit plus tenté d’acheter ce livre parce que simplement, lorsque l’on parle de Sherlock Holmes, on imagine surtout que ce sont les anglo-saxons qui savent en parler.

 

Etes-vous fasciné par Sherlock Holmes ?

Je suis moins fasciné par Sherlock Holmes que par son environnement britannique et surtout victorien. Je crois que le romantisme de l’horreur prend, dans ce cadre, ses plus belles couleurs, même si elles sont feutrées par le brouillard.

 

Vos livres sont souvent empreints d’un humour corrosif. Le ressentez-vous comme tel ?

Je pense que cela correspond un peu à mon caractère. Je crois que la vie n’est acceptable qu’à condition de l’accommoder à une certaine sauce d’humour, et surtout lorsqu’il s’agit d’histoires aussi horribles qu’on raconte dans des romans policiers. C’est peut-être ce que l’on appelle l’humour noir. Et ça correspond, d’une certaine façon, à une forme d’esprit que j’ai et qui consiste à voir le côté cocasse de chaque situation. Je pense en outre que sur le plan littéraire ça peut apporter certaines trouvailles. En fait l’humour qu’on peut trouver dans mes romans, voire dans mes essais comme le Dictionnaire des Assassins, est pour moi le condiment nécessaire à l’assaisonnement de la mort, qui, sans lui, tournerait vite à la monotonie.

 

René REOUVEN : Un entretien.

Quelles sont les qualités que vous appréciez le plus dans la vie, chez les autres, et les défauts que vous abhorrez le plus ?

Les qualités que j’apprécie le plus chez les autres, c’est la propreté, la dignité, l’honnêteté au sens moral et intellectuel. Bien entendu un certain courage. L’intelligence n’est pas une qualité, c’est un don, par conséquent je l’écarte. Il est plus intéressant, bien sûr, de parler avec quelqu’un d’intelligent, mais je ne pense pas que ce soit la qualité primordiale. Quant aux défauts que j’abhorre le plus, ce que je ne peux pas encaisser, c’est l’hypocrisie d’une part, et d’autre part d’être sans gêne. De penser que tout vous est dû. Le fait de penser ausssi que le monde attend le message que vous allez lui délivrer. Bref, vous avez parlé tout à l’heure de ma modestie. En fait la modestie, c’est la paresse. C’est la raison pour laquelle je suis un peu dans une tour d’ivoire dans ce domaine.

 

Contrairement à beaucoup d’auteurs, et même en prenant des pseudonymes, vous êtes toujours resté fidèle au même éditeur. Bizarre, non ?

Non, non, pas bizarre du tout. Je n’ai pas eu de gros problèmes avec mon éditeur et comme je vous l’ai dit, je suis un paresseux. Je ne me vois pas en train de frapper à d’autres portes, sauf évidemment si nos relations s’envenimaient. Ce qui peut toujours arriver...

 

Loin de tout tapage et de tout bruit, vous avez construit une œuvre comportant plus d’une trentaine de romans. Œuvre importante plus par la qualité que par la quantité. Que pensez-vous des auteurs plus prolifiques que vous ?

Il n’a jamais été question dans mon esprit de construire une œuvre. J’écris comme ça vient, à droite, à gauche, à hue et à dia. Et dirait l’autre, j’arrête quand je veux. Je pense que c’est une question de choix. Moi, quand j’écris, c’est pour m’amuser, c’est pour y prendre du plaisir. Il est certain qu’il y a des auteurs qui ont choisi une fois pour toute de vivre de leur plume. Et il est certain également que ça les met dans l’obligation d’écrire beaucoup, parfois avec des fortunes diverses. Il y a des gens qui sont capables d’écrire vite, bien et beaucoup. Comme Georges-Jean Arnaud par exemple. Moi, je ne crois pas que je serais capable de le faire. La qualité des textes est simplement due au fait que j’écris des livres tels que j’aimerais en lire. Et si j’ai écrit une trentaine de romans, il ne faut pas oublier que j’ai écrit sur une période de quarante ans.

 

Que pensez-vous des jeunes loups qui montent et montrent les dents, faisant parfois beaucoup parler d’eux ?

Je les comprends. Chacun son caractère. Ils ont choisi, eux, de se faire connaître, ils sont beaucoup moins paresseux que moi, ils s’agitent... Cela fait peut-être partie du travail d’auteur. C’est un travail que moi je n’aime pas beaucoup faire. Il semble qu’ils aient tout à fait saisi la vérité de notre temps. A mon avis les dents valent mieux que la langue, mais je suis trop paresseux pour faire comme eux. Et puis, l’arrivisme, ce n’est jamais que l’ambition des autres.

 

Lisez-vous les critiques lors de la parution d’un nouveau roman et comment réagissez-vous ?

Quand un de mes nouveaux romans paraît, bien sûr que je lis les critiques. D’ailleurs mon éditeur m’adresse les photocopies de toutes les critiques qui paraissent. Je n’ai pas trop à me plaindre, généralement je ne suis pas malmené par la presse. Il peut arriver qu’un de mes romans ne plaise pas; c’est le droit du critique de le dire. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’un critique, s’il n’a pas écrit lui-même, n ‘a pas le droit de juger les autres. Quand je vais voir un film, que je serais incapable de réaliser, si c’est un navet, je dis que c’est un navet. Bien entendu, quand les critiques sont mauvaises, ça ne me fait pas plaisir, mais après tout c’est le jeu. C’est moi qui l’ai choisi et je ne vois pas pourquoi je me plaindrais.

 

Pourquoi votre goût pour la littérature classique, goût qui se ressent dans votre œuvre, parfois de façon iconoclaste ?

Mon goût pour la littérature classique ? Une revanche perverse contre ceux - certains professeurs du secondaire - qui ont tout fait pour m’en dégoûter. Heureusement, les méthodes ont bien changé, et je retournerais bien sur les bancs. Et puis, encanailler dans le polar les institutions littéraires que sont devenus certains auteurs, me parait une œuvre de salubrité publique.

 

René REOUVEN : Un entretien.

Quels sont vos projets ?

J’ai un manuscrit chez Denoël qui doit paraître dans la collection Présences : La partition de Jéricho. Dans l’anthologie Noëls meurtriers, réunie au Masque par Jean-Pierre Croquet, j’ai donné une nouvelle, La nuit des Mages. Enfin, j’achève une grande nouvelle pour l’anthologie de Steampunk que Daniel Riche prépare pour le Fleuve Noir : Ame qui vive.

René REOUVEN : Un entretien.
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