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20 août 2015 4 20 /08 /août /2015 13:41

Le parcours du combattant d'un musicien...

Bernard THILIE : La prise du Sébastopol.

Le 14 juillet 1905 aurait pu n'être qu'un 14 juillet banal, semblable à tous ceux qui se sont déroulés auparavant. Pourtant Raphael, dix ans, s'en souviendra toute sa vie.

Chaperonné par Colette, la jeune bonne de son père Modeste, droguiste à Roubaix, elle-même accompagnée par Armand le fils du maréchal-ferrant, ils arpentent la fête foraine qui bat son plein. Raphaël est attiré par une baraque foraine plus discrète que les autres et un bateleur encourage les promeneurs à entrer sous la tente.

Une troupe de saltimbanques va interpréter Les Noces de Figaro, du méconnu, à l'époque, Fout le camp du canapé ou met des housses Mozart. Une troupe de renommée internationale d'après l'aboyeur, mais une troupe miteuse qui néanmoins laisse un souvenir impérissable au gamin, lequel décide de devenir musicien.

Il va tâter du piano et du violon, faire des pieds et des mains pour obtenir des cours et son destin est tout tracé. Mais il se sent à l'étroit et incompris dans l'échoppe familiale, et puis des épisodes tragiques vont le perturber. Colette s'est mariée avec Armand, mais celui-ci part en stage à Paris dans une usine de construction d'automobiles. La belle-mère de Colette lui mène la vie dure et la jeune épousée se suicide. Raphaël éprouve un vif chagrin. Colette était son amie, et peut-être un peu plus.

Il a dix-sept ans, et possibilité lui est donnée de passer un concours d'entrée au Conservatoire de Lille. A défaut de Paris, c'est là qu'il va aller, d'autant qu'il se montre bon musicien, à défaut d'être un grand musicien, et apte à diriger un orchestre, en remplacement d'un professeur en retard. Puis il part sillonner l'Europe des musiciens, jouant dans des troquets. D'abord en Belgique, en Hollande, puis jusqu'à Prague, à la découverte des compositeurs renommés ou avec lesquels il se sent en phase malgré les préjugés de certains de ses professeurs. Un périple qui l'aguerrit puis ce sera le retour à Roubaix, l'étriquée et l'envol vers Paris, la lumière qui attire les phalènes et les artistes.

A Paris, installé à Montmartre, qui n'était pas encore un quartier surfait, il fait la connaissance de Georges et de sa copine Anna, qui lui présente une collègue Céline. Le coup de foudre entre les deux jeunes gens est immédiat. C'est le soir du réveillon de décembre 1913. Ils s'installent ensemble, mais les parents de la jeune fille refuse le mariage alors elle part en Angleterre, et le conflit avec l'Allemagne arrive avec son lot de malheurs. Il entre aux Concerts Colonne, un établissement prestigieux.

Raphaël est incorporé, malgré un passage raté consciemment lors du conseil de révision. Il participe à la guerre des tranchées, mais parvient toutefois à monter un petit orchestre. Les mois passent, les saisons se succèdent et un jour alors qu'il est en reconnaissance avec quelque frères d'arme, le brouillard les sépare et il se retrouve au milieux d'une colonne ennemie. Fait prisonnier, là encore il monte un petit orchestre, et tente de s'évader. Repris il est envoyé à l'autre bout de l'Allemagne dans un camp de prisonniers. Afin de pouvoir manger à sa faim, il est volontaire pour des corvées de bûcheron, mais sa main, coincée par un tronc d'arbre, est endommagée. Sa carrière de musicien est fichue, pourtant il parvient à surmonter les épreuves à force d'abnégation.

 

Comme des souvenirs qui remontent à la surface, les événements s'enchevêtrent dans un joyeux désordre dans l'esprit du lecteur. A un certain moment, Raphael a dix-sept ans, quelques pages plus loin, il est invité par Blériot à son premier vol en avion, quelque temps avant que le célèbre aviateur gagne son pari en survolant la Manche. Le 25 juillet 1909. Première dichotomie d'âge. Et, par un heureux concours de circonstance, alors qu'il aurait pu être engagé dans l'orchestre du Titanic, les dieux de la musique jouent en sa faveur. Il n'a pas le pied marin. Il reste à quai tandis que le paquebot rencontre inopinément un iceberg qui s'est détourné de son chemin le 15 avril 1912. Il a vingt-deux ans. Du moins c'est ce qui est annoncé page 89. Mais si on calcule bien, normalement il ne devrait en avoir que dix-sept, puisqu'en 1905, il en avait dix. Et ainsi de suite, on navigue entre les âges. Lorsqu'il rentre de captivité fin 1919, lui et ses compagnons avaient été oubliés par l'administration (!), il a vingt-cinq ans. Le temps joue en sa faveur.

Cet petit problème posé, et non résolu, revenons à Raphaël et à sa vocation. Une vocation qu'il tentera de mener à bien, malgré les difficultés familiales, la guerre, le chômage (déjà) qui atteint cette profession artistique aléatoire, grâce à une persévérance sans faille et une abnégation de tous les moments.

Mais c'est aussi la description très détaillée d'une époque, avec les faits divers qui sont relatés, et un humour toujours présent. Si le lecteur peut ressentir une certaine analogie avec Jean-Christophe de Romain Rolland, le contexte mais pas le même avenir, il s'amusera aux diverses scènes qui émaillent la vie dans le premier camp de prisonnier dans lequel Raphaël est interné. Les situations et les personnages, dont un militaire qui se nomme Schoulz, font irrésistiblement penser à la série télévisée parodique Stalag 13 intitulée également Papa Schultz. Justement des rapprochements de l'esprit de ma part, car les points de divergence sont plus nombreux que ceux qui peuvent s'apparenter. Et le Schoulz du roman est loin de posséder la maladresse affable du sergent de la série télévisée, même s'il est coincé du bulbe.

L'humour y est présent, moins cabotin que dans les précédents romans de l'auteur, mettant en scène une bande de Pieds Nickelés nordistes, mais si cet humour y est parfois plus caustique, sarcastique, il reste empreint de bonhommie. Le vocabulaire, les tournures de phrases y sont pour beaucoup, et s'il fallait émettre une comparaison, une de plus penserez-vous, Bernard Thilie serait à rapprocher de Raymond Devos plus que de Guy Bedos. C'est dire qu'à aucun moment il tombe dans la facilité et la vulgarité.

La prise du Sébastopol est également un roman musical, dédié à Mahler, Stravinsky et Mozart, ce compositeur redécouvert au milieu des années cinquante grâce à un bicentenaire fort bien venu. Quant à expliquer le titre, sachez que le Sébastopol en question existe toujours à Lille.

 

Il aimait son pays. Tout le monde aimait son pays, y compris ceux d'en face. Pas plus que les autres, il ne supportait que quelqu'un y pénètre sans être invité. Dans ces cas-là, il restait une seule solution, mettre l'intrus à la porte à grands coups de pompe dans le train. Jusque là, l'accord faisait l'unanimité. Par contre il refusait le bourrage de crâne fait de cette mythologie infantile sur la patrie, la revanche de 1870, le culte du soldat avec ses cartes postales édifiantes, la cocarde en papier crépon, le coq gaulois sur son tas de fumier, le regard sur la ligne bleue des Vosges. Le soldat, pas le coq.

Bernard THILIE : La prise du Sébastopol. Collection Roman historique. Editions Ravet-Anceau. Parution le 23 mars 2015. 272 pages. 12,00€.

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